Les Animaux Fantastiques, long-métrage sorti fin 2016 sur un
scénario original de JK Rowling, dit je crois quelque chose de l’esprit
de notre temps dans son rapport au mal. Cette nouvelle histoire, précédant de
plus d’un demi-siècle les aventures d’Harry Potter, met en scène en effet de
nouveau une lutte du bien contre le mal ; ou plus précisément du bien sans prétention contre le
Mal radical.
Le camp du Mal

Gellert Grindelwald se grime le film durant en un héros positif, Percival Graves, directeur du département de la Justice du congrès magique des Etats-Unis. Ce n’est qu’une dissimulation. En réalité, impossible de le faire dévier de ses plans maléfiques ; inaccessible à la relation, il incarne un Mal radical.
Une autre sorte de mal apparaît dans le film : Croyance.
Ce personnage, qui semble sans grande qualité et au comportement
quasi-autistique, est en fait un jeune magicien qui n’a jamais pu développer et
éduquer ses capacités, car opprimé par sa mère adoptive farouchement opposée à
toute forme de magie.

Car il est une troisième figure du Mal, celle de Mary-Lou
Bellebosse, mère adoptive de Croyance et fondatrice des Fidèles de Salem, secte
religieuse en lutte contre les sorciers et la magie. Bellebosse se croit, ou
fait mine de se croire, du côté du bien et de l’amour (adoptant des enfants
abandonnés, nourrissant des nécessiteux), mais sa conduite est incontestablement
celle du Mal. Sa violence envers ses enfants adoptifs, et surtout son hostilité
envers ce qui lui apparaît comme différent (ici la magie) conduisent Croyance à
basculer dans la haine de sa propre nature. Bellebosse est une autre
incarnation du Mal radical : murée dans ses certitudes et dans son
intolérance, rien ne peut la faire dévier de sa sinistre conduite, pas même
l’intervention de Porpentina pour défendre Croyance.
Ces trois sortes de mal ne dévoilent pas de prime abord leur sombre
réalité ; leur véritable nature n’apparaît qu’au cours du film, voire lors
de son dénouement. Le mal avance caché, camouflé sous une autre apparence.
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incarne
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sous l’apparence
de
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et cherche au
quotidien
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Grindelwald
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le Mal politique
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la Justice
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le pouvoir
(politique)
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Bellebosse
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le Mal religieux
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l’Amour charitable
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le pouvoir
(religieux)
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Croyance
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la victime du Mal
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l’incapacité
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la reconnaissance
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Le camp du bien


Ils ne sont mus ni les uns ni les autres par une volonté de
pouvoir, ou des projets démesurés, mais par des aspirations simples et sans prétention, qui les
guident dans leur quotidien.
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cherche(nt) au
quotidien
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Porpentina
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la justice
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Norbert
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l’harmonie
écologique entre hommes et animaux
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Jacob et Queenie
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les (menus) plaisirs de la vie
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En somme, entre bien et mal, tout fonctionne dans une
étanchéité parfaite : l’un ne peut contaminer l’autre car rien ne leur est
commun. Seule la figure de Croyance rappelle que le Mal (notamment ici
l’intolérance) peut déformer une nature initialement positive, la rendant alors
dangereuse. Le Mal apparaît donc non comme une tentation traversant chacun,
mais comme un principe parfaitement externe aux gens de bien.
Un imaginaire familier...
L’imaginaire porté par les Animaux Fantastiques peut donc se
résumer ainsi : de braves gens, qui au quotidien agissent pour faire advenir
davantage de justice et de respect pour les animaux, tout en profitant des
petits plaisirs de la vie, se retrouvent confrontés au mal que génèrent la
politique et la religion, camouflées réciproquement derrière les masques de la
Justice et de l’Amour. Nos braves gens font également face à une victime que le
Mal religieux a rendue nocive par son intolérance et sa violence symbolique,
mais qui n’aspire en fait qu’à être reconnue et valorisée dans sa différence,
plutôt que d’être considérée comme un pauvre type comme le font ceux qu'il rencontre.
Bref, comment ne pas reconnaître dans cet imaginaire celui du
progressisme contemporain ? Un progressisme où l’absolu politique comme
religieux est disqualifié au profit de la recherche tranquille d’une vie
confortable, tout en se sentant bien sûr très concerné par la justice et la
sauvegarde de l’environnement. Un progressisme où, au quotidien, le mal n’existe pas vraiment
et ceux qui le commettent ne sont que les victimes de l’intolérance du Mal véritable que sont les
puissances politiques et religieuses, multipliée par la bêtise de ceux qui se
croient supérieurs ou bien nés.
A ce titre, le film les Animaux Fantastique incarne à
merveille l’esprit de notre temps, où, comme le soulignait la péguyste Claire
Daudin au détour d’un article sur Bernanos et le mal :
« Il semble que nous en ayons fini avec ce qui était l’axe majeur de la morale : se considérer soi-même comme source possible du mal ».
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