Depuis quelques années, force est de constater que, pour un observateur extérieur, le discours public tenu par le corps social catholique au nom de sa foi, au nom de Dieu, tourne pour l’essentiel autour… de la sexualité - et dans une moindre mesure de la mort ![1]
Comment en est-on arrivé là ? A ce que le Dieu des chrétiens ne soit essentiellement présent dans la Cité politique, qu’à travers ces questions, certes importantes mais qui sont loin de constituer le cœur de la foi catholique, qui tourne lui plutôt autour de la rédemption ?
Pourquoi les catholiques semblent-ils aujourd’hui avoir pour principale préoccupation dans le débat politique la défense de ces enjeux dits « sociétaux » ?
1/ Il me semble que cette préoccupation n’est pas nouvelle
dans le catholicisme, mais traverse toute son histoire : des premières
communautés chrétiennes (comme les épîtres de Paul s’en font l’écho) à nos
jours, en passant par Saint Augustin, Saint François de Sales ou le moralisme
du XIXe.
Dans son histoire de la sexualité, Michel Foucault trace et
décortique l’apport des auteurs chrétiens à la conceptualisation de la
sexualité. Il souligne également comment ces discours façonnent les normes
d’une société (c’est-à-dire les lois, mais surtout les pratiques) : «
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, […] droit canonique, pastorale chrétienne et
loi civile […] fixaient, chacun à leur manière, le partage du licite et de
l’illicite. [...] Dans la liste des péchés graves, séparés seulement par leur
importance, figuraient le stupre (relations hors mariage), l’adultère, le rapt,
l’inceste spirituel ou charnel, mais aussi la sodomie, ou la “caresse
réciproque”».
Même si la plupart des religions (si ce n’est toutes) portent
un discours prescriptif sur le sexe, la sexualité a sans doute joué un rôle
particulier dans le christianisme à cause de l’impossibilité, à vue humaine, de
son exigence de chasteté totale, c’est-à-dire d’absence absolue de
concupiscence – regarder son épouse avec convoitise pouvant selon Jean-Paul II constituer déjà l’adultère
du cœur dont parle le Christ en Mt 5, 28. Le désir sexuel dans le christianisme
apparaît alors comme une tentation ayant vocation à être sublimée.
2/ Ce qui est nouveau est sans doute l’insistance des
catholiques sur ces thèmes dans leur engagement public (dans la Cité), et non
plus seulement dans leur vécu privé ou les échanges avec leurs confesseurs.
Ce basculement est peut-être lié au magistère de Jean-Paul
II. Jean-Paul II et Benoit XVI à sa suite prêchèrent sur ces thèmes à la fois
dans leur dimension théorique et dans leurs conséquences pratiques (la fameuse théologie du corps), mais aussi en incitant les catholiques et en particulier
les élus catholiques à agir de façon publique et politique pour défendre les
conceptions du magistère en la matière – jusqu’à interdire aux parlementaires
catholiques de voter des lois allant à leur encontre. Précédemment, les
injonctions magistérielles à un engagement public des catholiques portaient
davantage (au XIXe) sur la défense de l’Eglise face aux attaques du monde
moderne, dont la démocratie (cf le Syllabus)[2].
En parallèle, il faut aussi noter les appels continus à un
engagement social des catholiques (de Rerum Novarum en 1891 à l’accueil des
migrants en Europe aujourd’hui). Mais ces appels sont davantage des incitations
à l’action caritative plutôt qu’à une action politique. Des actions politiques
de nature sociale ont pu être collectivement portées par les Eglises, je pense
à la campagne pour l’abolition de la dette de pays du tiers monde à l’occasion
du jubilé de l’an 2000, mais de façon plus ponctuelle[3],
et avec sans doute moins d’unanimité chez les catholiques français.
3/ Dans le cas des catholiques français, les thématiques sociétales
apparaissent peut-être en effet comme le PPCM (plus petit dénominateur commun)
entre leurs différentes mouvances. Des paroisses de centre-ville aux paroisses
rurales, des sympathisants de l’Emmanuel à ceux de Saint-Martin, des aficionados des messes de Glorious / Lyon-centre aux
inconditionnels de la messe en latin, des lecteurs de la Nef à ceux de la revue
Limite en passant par ceux de La Vie… beaucoup de catholiques peuvent se
retrouver derrière cet étendard. Ce qui constitue peut-être un signe de
l’efficacité du magistère de Jean-Paul II, à travers par exemple les « générations JMJ successives » ou la « génération Lustiger » dans le presbytérat,
aujourd’hui en responsabilité.
En pointillé, la quasi-unanimité des catholiques sur ces
thèmes souligne le désengagement de ceux qui portaient d’autres options,
notamment à gauche. On peut à ce titre souligner le courage d’un mouvement
comme les Scouts
et Guide de France dans leur refus de prendre position au moment de la
bataille du mariage pour tous, actant la diversité des opinions dans leurs
rangs et souhaitant préserver cette diversité plutôt que de la disqualifier.
4/ Un dernier point me semble accentuer les
précédents : les réseaux sociaux. Alors que la pensée et les choix des
cathos se construisaient auparavant dans les paroisses, via la médiation de
leur curé, des échanges au sein de mouvements catholiques ou via la lecture de
livres ou de journaux, Internet joue désormais un rôle prédominant.
Et comme
d’autres, les catholiques, moi le premier, succombent largement à
la tentation d’une grille de lecture binaire, au charme des « bulles de
filtrage » à coup de like et de retweet. Combiné à la mise en minorité des catholiques dans le corps social (environ 5% seulement de français vont à la messe chaque dimanche), ces sujets peuvent ainsi apparaître comme prioritaires et constituant le cœur de l’« identité
catholique », ou du moins de celle véhiculée par les Facebook ou Twitter.
[1] Mariage homosexuel, IVG,
PMA, GPA, euthanasie…
Wikipedia définit la sexualité comme "les phénomènes de la reproduction biologique des organismes, les comportements sexuels permettant cette reproduction, et enfin les nombreux phénomènes culturels liés à ces comportements sexuels."
Wikipedia définit la sexualité comme "les phénomènes de la reproduction biologique des organismes, les comportements sexuels permettant cette reproduction, et enfin les nombreux phénomènes culturels liés à ces comportements sexuels."
[2] Le combat
pour (ou plutôt contre) les nouvelles thématiques sociétales peut aussi être vu
d’une certaine manière dans la continuité de ceux du XIXe contre la modernité
incarnée par le régime républicain. Là où le syllabus condamnait le libéralisme
politique, l’Eglise condamne aujourd’hui ses conséquences en termes
d’auto-détermination sur les questions liées à la vie, à la sexualité, à la filiation ou à la
fin de vie.
[3] D’une façon
générale, bien qu’autant si ce n’est davantage présent dans les écritures,
force est de constater que le thème de la pauvreté fut dans l’histoire de
l’Eglise porté avec moins de force et moins de continuité que celui de la
chasteté et des questions de morales qui lui sont lié.