les CSP+ et l'Eglise en France - suite et fin

(ce billet fait suite aux interrogations d'un précédent billet)

Il y a maintenant un an, plus de deux millions de jeunes catholiques se sont retrouvés en Pologne pour les Journées Mondiales 2016, dont environ 35 000 jeunes français. Mais cette délégation était-elle représentative de la jeunesse française ? Réponse négative. L'hebdomadaire La Vie a réalisé une enquête sur le profil de ces jmjistes. Résultat : 52% sont issu de milieux cadre supérieur / profession libérale. La proportion était déjà de 46% lors des précédentes JMJ en 2011 – ces professions représentant pourtant seulement 7% de la population française...

Comment expliquer ce état de fait ? Seules quelques hypothèses semblent tenir la route.

D'abord la disparition d'une foi populaire, sans soubassements théologiques mais plus instinctive et plus ritualisée, parfois communautaire (ainsi des conféries de charité ou de pénitents). Paradoxalement, le dernier concile a peut-être contribué à ce déclin en valorisant la figure du laïc pour ouvrir et décléricaliser l'Eglise (voir par exemple le chapitre IV de la constitution Lumen Gentium). Les fidèles laïcs furent appelés à contribuer par leur vie aux trois missions de l'Eglise : annoncer, célébrer, servir, et à prendre toute leur place dans les communautés ecclésiales. Remplir ces missions nécessite des compétences (relationnelles, pédagogiques, de gestion, théologiques, etc.) qui recoupent en partie des qualités valorisables et valorisées dans le monde du travail. Ceux qui en disposent vont facilement se sentir reconnus et utiles dans les communautés. Ceux qui n'ont ni don ni goût pour tout cela peuvent se sentir laissés de côté. En passant, ces compétences sont d'autant plus nécessaires pour exercer la mission de prêtre diocésain.

Ensuite, la contradiction frontale entre la foi chrétienne et l'ethos de la consommation individualiste, où tout se consomme  les biens comme les sentiments ou les relations. Et il faut des moyens et du soutien pour aller à contre-courant. La liberté de ne pas consommer est ainsi paradoxalement plus grande quand on en aurait les moyens – c'est alors un choix et non une contrainte. Mais au-delà des moyens financiers, il faut surtout aujourd'hui avoir les moyens de légitimer sa foi et ses choix dans un monde qui les raille ou les déconsidère. Les légitimer auprès de ses proches bien sûr, mais d'abord auprès de soi même. Considérer sa foi comme légitime, comme fondée rationnellement, historiquement, socialement, etc. Etre en capacité de prendre du recul par rapport au discours dominant. Etre formé à une foi adulte – au delà dun catéchisme (de l'école) primaire.

En somme, les portraits que dessine l'Eglise comme en creux la société française, du chrétien laïc engagé semblent aller dans le même sens : sûr de sa foi, bien formé, capable d’initiatives et d’organisation, estimant avoir quelque chose à apporter – si ce n’est au monde du moins aux autres, etc. Tout ça n’en fait point pour autant un bourgeois, ces traits transcendent les classes sociales, mais ceux à qui la naissance, l'éducation reçue ou la reconnaissance professionnelle apportent la paisible certitude d’être à leur place ont sans doute plus de facilité pour les exercer avec assurance – parfois même peut-être avec un brin de présomption.

Les milieux plus bourgeois seraient ainsi moins sur-représentés que sur-visibles dans l’Eglise, davantage présents chez ceux qui « font tourner la boutique » car davantage confiants en eux-mêmes et en leurs compétences. Les statistiques n’apportent d’ailleurs pas d’éléments décisifs pour confirmer un embourgeoisement global du catholicisme… La dernière grande enquête de l’IFOP sur la sociologie de la religion catholique en France (en 2010) fait certes ressortir une sous-représentation des employés et ouvriers chez les catholiques se déclarant pratiquants (le profil des catholiques se déclarant non-pratiquants étant lui très proche de celui de l’ensemble des français), mais également une sous-représentation des professions libérales et cadres supérieurs… au profit d’une large sur-représentation des retraités1.


La sous-représentation des catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+) est moindre toutefois. Hervé Le Bras et Jérôme Fourquet notent ainsi dans une étude réalisée en 2014 pour la fondation Jean Jaurès un « petit effet CSP », la pratique déclinant avec la catégorie socio-professionnelle : 10,1 % pour les cadres supérieurs, 9,3 % pour les professions intermédiaires, 8,4 % pour les employés et 6,3 % pour les ouvriers. Ce qui se retrouve géographiquement : à Paris le taux de pratique est d’autant plus important que l’arrondissement est bourgeois, et dépasse également les 20% autour de St Germain, Versailles, Sceaux ou Fontainebleau.

Néanmoins, cet « effet CSP » est loin d’être décisif. Les catholiques pratiquants se déclarant de gauche (soit environ un tiers des pratiquants) comptent quant à eux une plus forte proportion d’ouvriers que la population générale – ainsi qu’une plus forte proportion d’actifs – selon une autre étude de l’IFOP de 2010.





Comment interpréter tous ces chiffres ? Sans doute en les considérant à l’aune de la structure des communautés ecclésiales, que l’on peut découper grosso-modo en 3 cercles : le premier cercle des laïcs engagés – tels que promus par le dernier concile ; le deuxième cercle des pratiquants – qui vont plus ou moins régulièrement à la messe mais restent peu impliqués dans la vie de l’Eglise ; et le troisième cercle des non-pratiquants – dont les contacts avec l’Eglise se limitent aux baptêmes, mariages et obsèques. Les statistiques ci-dessous valent pour les premier et deuxième cercles confondus. Le premier cercle étant trop restreint pour être cerné par les méthodes classiques de sondages, sa sociologie reste floue (en dégager un échantillon représentatif de mille personnes nécessiterait vingt mille entretiens, pour peu que sa proportion dans la population soit de 5%). On peut supposer que « l’effet CSP » y est davantage marqué, en considérant des indices comme la sociologie des vocations sacerdotales qui en sont le plus souvent issues, ou à partir d’un ressenti, mais sans certitude statistique.

D’un point de vue humain, en faisant comme si l’Eglise était une organisation comme une autre, l’enjeu est probablement d’assurer que le premier cercle ne s’enferme pas dans ses problématiques propres (par exemple des querelles liturgiques ou dogmatiques), mais prenne bien en compte le deuxième cercle (attentes, besoins, capacités, etc.) pour s’assurer de son adhésion et de son inclusion.

Mais au-delà de l’organisation, l’on peut aussi adopter le point de vue du Royaume, de la vie éternelle dans laquelle tous les baptisés ont déjà mis un pied. Et là, la seule question qui vaille est celle de la sainteté. Les CSP+ de la sainteté, ce sont les apôtres, les martyres, les saints du calendrier. Pour tous les autres, le pape François a repris l’expression de « classe moyenne de la sainteté ». Celle dont nous pouvons – et devrions – tous faire partie. Et cela implique aussi des choix économiques, et écologiques, comme le souligne le père Nicolas Rousselot. Gagner moins pour vivre plus, donner de sa vie et de son temps…

Car quelle que soit sa sociologie, l’Eglise est appelée à la pauvreté – une pauvreté qui n’est pas bien sûr purement matérielle mais jamais non plus simplement spirituelle. Le dépouillement radical n’est certes pas une vocation pour chacun. « Mais pour être la communauté des pauvres de Jésus, l’Eglise a sans cesse besoin de grandes figures du renoncement ; elle a besoin des communautés qui les suivent, qui vivent la pauvreté et la simplicité, et qui nous montrent par là la vérité des Béatitudes2, afin de tous nous secouer et nous réveiller, pour comprendre que posséder des biens, c’est simplement servir, pour s’opposer à la culture de l’avoir par une culture de la liberté intérieure, et pour créer les conditions de la justice sociale. » (Benoit XVI, Jésus de Nazareth, 2007)



1 Curieusement, les retraités constituent une catégorie socio-professionnelle à part, où se retrouvent l'ancien ouvrier comme l'ancien patron...

2 « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. » (Évangile selon Saint Luc, chap 6, verset 20)

5 commentaires:

  1. Pour la seule question des J.M.J., il y a peut-être un paramètre tout simple à prendre en compte : la question financière. D'une part il faut pouvoir se payer le séjour à l'étranger (transports/logement/nourriture/inscriptions), d'autre part cela suppose d'être libre l'été, c'est-à-dire ne pas avoir un boulot d'été, ce qui exclut de fait les saisonniers notamment et les étudiants qui travaillent pour financer leurs études.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui c'est vrai. Et cela pose la question du partage financier, qui devrait aller de soi dans l'Eglise (cf sur les lettres de Paul, celle de Jacques et bien sûr les Evangiles).

      Supprimer
  2. La question est complexe : de nombreuses possibilités sont offertes mais il faut aussi que ceux qui en ont besoin se manifestent, ce qui est une autre paire de manches. J'avais moi-même pu participer aux J.M.J. de Madrid parce qu'une dame de ma paroisse m'avait offert presque la totalité des frais (et mon patron avait été arrangeant sur mon contrat d'été) mais l'humilité d'accepter ne va pas de soi. Pour l'avoir vécu, je crois que le partage est bien plus répandu qu'on ne le croit en tout cas !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ce témoignage ! Dans ma paroisse, quand on organise un pèlerinage pour les jeunes, les paroissiens sont habituellement très généreux pour les aider à partir, et les jeunes les portent dans leur prière sur place, ce qui crée je trouve un bel échange intergénérationnel. Par contre, c'est difficile de trouver la bonne façon de répartir la somme récoltée. On fait souvent au plus simple en donnant autant à chaque famille, comme on ne connait bien sûr pas la situation financière de chacun.

      Supprimer
  3. Ce n'est pas le revenu qui fait de nous des mondains, c'est l'intellectualisation de la foi et le mépris de la foi populaire.
    "Trop souvent les pauvres sont aux portes de l'Église. Pour sa vitalité ils doivent être au centre" dit Étienne Villemain de http://lazare.eu/

    RépondreSupprimer