Des pôles missionnaires pour des disciples-missionnaires
Il y a quelques jours,
notre évêque nous a parlé du sens des « pôles
missionnaires », ces regroupements de paroisses progressivement
mis en place dans plusieurs diocèses français. Un point m'a
interpelé : ces pôles ne sont pas une nouvelle structure,
sorte de pendant ecclésial des communautés de communes, mais
d'abord une nouvelle façon de vivre en catholiques. Ce qui importe
n'est pas la structure – le fonctionnel et l’organisationnel nous
dessèchent spirituellement et deviennent si vite autoréférentiels,
dans l'Eglise comme dans l'entreprise ou l'administration. Non, ce
qui importe est que chaque paroissien devienne disciple-missionnaire
au sein d'une communauté missionnaire. Plus possible de rester un « catholique du dimanche », un « pratiquant occasionnel » : soit l'on est dedans, engagés pour la
mission, soit l'on refuse d'entrer. Ce qui importe est de mettre en
place – selon des modalités propres à chaque communauté, en
fonction de sa géographie, son histoire, de ses capacités, etc. –
un nouveau mode d'être au monde comme Église du Christ, dans un
lieu donné, pour une population donnée. Arrêtons de « faire
fonctionner nos paroisses » pour nous demander « comment
cette paroisse fait-elle naître des disciples du Christ ? ».
Feue la paroisse d’antan
Ce n'est donc pas une
simple mutualisation de moyens entre paroisses qui se profile, mais
la fin de ce modèle paroissial tel qu'il a fonctionné depuis des
siècles. Ce modèle d'un maillage territorial fin, où le plus
important était l'administration des sacrements sous la houlette du
pasteur : sacrements de l'initiation chrétienne et catéchisme,
messes dominicales, mariages, funérailles. Un maillage qui, par
ailleurs, a pu aller de pair dans les siècles passés avec un
contrôle de type disciplinaire : la paroisse comme panoptique,
où le curé de sa chaire peut surveiller et corriger les mœurs. Ce
modèle, cliniquement mort depuis déjà peut-être 40 ans, continue
néanmoins à imprégner les comportements et les imaginaires, à
l'image de ces personnages de dessins animés courant dans le vide
sans s'en rendre compte une fois la falaise dépassée. Bonne
nouvelle : l'Eglise nous propose maintenant un nouveau modèle
pastoral, impulsé par le pape François dès sa première
exhortation apostolique, La Joie de l'Evangile. Un modèle encore
largement à construire, où la communion fraternelle et la mission
seront comme les deux faces d'un même vécu spirituel.
Vatican II, des laïcs tournés vers le monde
Ce nouveau modèle élargit et nuance un petit peu, me semble-t-il, la place des laïcs telle que spécifiée lors du Concile Vatican II. Dans la constitution dogmatique sur l'Eglise (Lumen Gentium) [1], tout comme dans le décret sur l'apostolat des laïcs (Apostolicam Actuositatem) [2], la mission des laïcs est présentée comme principalement tournée vers le monde, à travers leur famille, leur vie professionnelle, afin que les valeurs chrétiennes se diffusent peu à peu dans les différentes dimensions de la vie sociale – l'action caritative et les mouvements d'Action catholique étant cités en exemples. Les ministres ordonnés (évêques, prêtres) sont eux présentés comme davantage tournés par leur vocation propre [3] vers la vie liturgique et la célébration des sacrements, ainsi que vers le gouvernement des âmes en vue de leur sanctification. Dans le décret sur le ministère et la vie des prêtres (Presbyterorum Ordinis), ils sont présentés comme exerçant trois principales fonctions : « ministres de la Parole de Dieu » (PO 4), « ministre des sacrements et de l'eucharistie » (PO 5) et « chefs du peuple de Dieu » (PO 6). En somme, dans l'ecclésiologie de Vatican II, les laïcs semblent davantage tournés vers le monde, exerçant un apostolat vers l'extérieur de l'Eglise – ad extra ; et les ministres ordonnés tournés davantage vers le peuple de Dieu, exerçant leur ministère sacramentel vers l'intérieur de l'Eglise – ad intra. Les diacres permanents jouant en quelque sorte sur les deux tableaux, consacrés à la fois pour un rôle sacramentel et pour une mission vers le monde.
Aujourd'hui, un apostolat par la communauté chrétienne vivante
La pastorale en pôle
missionnaire apporte ici, me semble-t-il, si ce n’est un changement
du moins une inflexion, une remise en cause de cette stricte
différenciation entre un apostolat orienté vers l’intérieur ou
vers l’extérieur de l’Eglise, ad-intra ou ad-extra. Non pas au
sens d'une cléricalisation des laïcs, qui conduirait à les faire
travailler ad-intra pour « faire tourner la boutique ».
Mais au contraire dans le respect de la vocation propre de chacun,
avec la conviction que cette frontière entre apostolat intérieur et
extérieur s'estompe, se brouille. Dans une France où l'Eglise est à
la fois quantitativement et culturellement minoritaire, la vie
paroissiale sacramentelle ne peut plus être un simple lieu de
ressourcement en vue d'un apostolat extérieur. Elle devient
elle-même un lieu d'apostolat. Elle devient notre meilleure surface
de contact avec le monde. Elle devient le lieu à travers lequel nos
concitoyens vont entendre parler des chrétiens, les rencontrer, voir
comme ils s’aiment et comme ils les aiment (voir par exemple ce témoignage)... Ainsi, la célébration
des sacrements ne peut plus être simplement le fait du prêtre, mais
devrait être portée par toute la communauté pour toucher
réellement les cœurs – y compris pour les célébrations où la
plupart des participants ne sont pas pratiquants (baptêmes,
mariages, funérailles). Ainsi, l'annonce de la Parole dans le monde
doit s'accompagner d'une invitation à la découverte de la vie
sacramentelle. Ne pouvant plus reposer sur des fondations culturelles
préexistantes pour la soutenir, elle ne peut plus simplement
rappeler le message évangélique, mais doit faire découvrir le
Christ présent dans son Eglise.
Aujourd’hui, l’on ne
vient plus guère au Christ par l’intellect, par une réflexion sur
soi-même, les illusions de l’amour-propre, sur le monde ou la
nature – chemin pour lequel la lecture de Pascal fut un guide
emblématique jusqu’à il y a peut-être une soixantaine d’années,
dans une autre culture, encore imprégnée des humanités et pétrie
par les classiques. Non, désormais on vient au Christ par le cœur.
Par l’amour. A la fois par la chaleur d'une rencontre humaine avec
ses témoins, et par celle de la rencontre directe avec le Christ,
dans notre monde si froid. Ainsi, dans les parcours Alpha, les
moments les plus forts qui ressortent en bilan sont souvent les
repas : se sentir accueilli gratuitement, dans son corps (le
repas) et son âme (les échanges). Et les catéchumènes nous
parlent souvent de leur rencontre avec Dieu en des termes emplis
d’affects. La vie liturgique est par elle-même catéchétique, à
condition d’être vécue dans une communauté vivante –
accueillante, fraternelle, missionnaire.
D'une logique gestionnaire à une logique missionnaire
Aujourd’hui, la logique de nos paroisses ne peut plus rester celle de la gestion, mais doit davantage devenir celle de la mission, une mission adaptée à chaque terrain, en fonction des charismes présents dans chaque communauté et qui rendent chacune unique. Passer d’une logique de gestion, où l’essentiel était d’assurer la « permanence des sacrements » et ce qui en découlait (catéchisme, etc.) à une logique missionnaire, où l’essentiel est que la communauté suscite de nouveaux disciples du Christ. Encore peut-être une inflexion par rapport au concile Vatican II. Alors que le décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise (Ad Gentes) semble considérer la mission comme un processus fini, avec un début (l’arrivée de missionnaires) et une fin (l’établissement d’églises locales), tourné vers l’extérieur de l’Eglise, la mission est désormais perçue [4] comme faisant partie à la fois de l’être même de l’Eglise et de celui de chaque baptisé. Comme une facette indispensable de l’agir-en-chrétien.
Grandir en sainteté
Bref, les pôles
missionnaires vont certes permettre de regrouper les bonnes
volontés ; mais ils ne seront fructueux que si nous allons plus
loin que cela. Si nous passons d'une logique territoriale à une
logique nouvelle, où ad-intra et ad-extra se rejoignent en un
même ad-omnes, vers tous. Si chaque pôle missionnaire devient localement la
communauté des amoureux du Christ, qui vont ensemble célébrer,
annoncer et servir. Une communauté qui donne envie, par sa vie
fraternelle, par son unité dans la diversité des personnes qui la
composent, etc. Une communauté en croissance de Sainteté, qui sait
que la mission n’est pas sa propriété, mais d'abord l'affaire du
Seigneur. Une communauté où chaque membre grandit dans sa vie
spirituelle et humaine en participant à l'annonce de la bonne
nouvelle.
« L’évangélisation est la tâche de l’Église. Mais ce sujet de l’évangélisation est bien plus qu’une institution organique et hiérarchique, car avant tout c’est un peuple qui est en marche vers Dieu... Chaque baptisé, quels que soient sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. Cette conviction se transforme en un appel adressé à chaque chrétien, pour que personne ne renonce à son engagement pour l’évangélisation » (La Joie de l'Evangile, 120)
1
« La vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne
de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles
qu'ils ordonnent selon Dieu… C'est à eux qu'il revient...
d'éclairer et d'orienter toutes les réalités temporelles
auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu'elles se
fassent et prospèrent constamment selon le Christ... » (LG
31)
2
« Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le
renouvellement de l'ordre temporel... Membres de la cité, ils ont à
coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence
particulière en assumant leur propre responsabilité et à chercher
partout et en tout la justice du Royaume de Dieu » (AA 7)
3
« La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à
l’ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le
Christ édifie, sanctifie et gouverne son Corps… C'est par le
ministère des prêtres que se consomme le sacrifice spirituel des
chrétiens, en union avec le sacrifice du Christ... » (PO 2)
4
« La mission évangélisatrice, continuation de l’œuvre
voulue par le Seigneur Jésus, est pour l’Eglise nécessaire et
irremplaçable, expression de sa nature même. » (Benoit XVI,
Motu Proprio Ubicumque et semper, instituant le conseil pontifical
pour la promotion de la nouvelle évangélisation)
Créer de nouvelles structures d'évangélisation ne doit pas être incompatible avec le maintien des anciennes lorsque celles-ci portent du fruit. Mais au delà même des structures, c'est plutôt le contenu de l'enseignement qui me préoccupe. Je me méfie d'une évangélisation en feu de paille qui repose principalement sur de l'émotionnel et qui laisse de côté les fondements théologiques de la foi. Il est assez facile d'attirer les gens par l'émotion comme le font les évangéliques et ce n'est pas blâmable en soi, mais il est indispensable de ne pas en rester là. Remiser Pascal au placard me semble être la pire des choses. C'est le drame de la catéchèse qu'on nous a servi ces trente dernières années et dont on constate aujourd'hui les fruits pourris.
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