Des cathos en campagne - 5 ans après



Cinq ans après cet article, où en sont les catholiques en politique ? A le relire, les tendances se confirment. 

Tout d’abord la fin des tentatives de catholiques pour exercer une influence programmatique sur des partis politiques, dans le sens d’une vision de l’homme compatible avec la doctrine de l’Eglise. Les mouvements nés de la « Manif pour tous » (comme les Poissons roses à gauche ou Sens commun à droite) étaient déjà en situation d’échec il y a 5 ans. A gauche, marginalisés par un appareil de parti hostile à leur être même. A droite, dans l’impossibilité de rassembler plus loin que leur cercle, et devenant même un soutien contre-productif lorsqu’il s’agit de dépasser le stade de la primaire. Ils ont désormais quasiment disparu. 

De façon méritoire, ces courants cherchaient à promouvoir politiquement des valeurs chrétiennes et avaient une identité catholique assumée, couplée avec une sensibilité respectivement de gauche ou de droite sur les questions sociales et économiques – cette ambidextrie illustrant d’ailleurs la nature pré-politique de l’Evangile. 

Une fois actée leur disparition, que reste-t-il ? Eh bien, il reste des chrétiens, qui continuent à s’engager de part et d’autre du jeu politique. Et que donc défendent ces chrétiens engagés ? En un slogan, certes caricatural et partiel, on pourrait dire : A gauche les valeurs, à droite l’identité.

A gauche, plusieurs des figures qui émergent des ruines sont par ailleurs des chrétiens. On peut ainsi penser à Léonore Moncond’huy (maire EELV de Poitiers, 32 ans), ou à Samuel Grzybowski (co-fondateur de la primaire populaire, 29 ans). Quoi que l’on puisse penser des résultats de leur engagement, ils ont le grand mérite d’essayer de renouveler l’action politique, avec des valeurs de concertation, de bienveillance, de sobriété. Plus largement, on retrouve de nombreux chrétiens à EELV, souvent passés par le mouvement scout (notamment les Scouts et Guides de France), à l’instar du camarade François Mandil. Les candidats de gauche et d’extrême-gauche auraient d’ailleurs rassemblés 24% des électeurs catholiques pratiquants réguliers en 2022, contre seulement 11% en 2017, selon les estimations de l'IFOP. Fruit peut-être des appels du pape à davantage de fraternité face aux enjeux sociaux et environnementaux (Laudato si, Fratelli tutti), et émergence d’une « génération François » après les générations Jean-Paul II et Benoit XVI ?

A droite, la thématique de l’identité a pris de plus en plus d’importance chez les catholiques engagés politiquement. Contrairement à ce que je pensais en 2017 (cf point 4 de ce billet), elle n’a pas été préempté par le RN ou LR, mais par le candidat Eric Zemmour. Cette thématique lui permet d’unir son électorat issu de la droite conservatrice et constitue le pendant positif de son positionnement contre l’islam. Eric Zemmour incarne d’ailleurs de façon « chimiquement pure » cette défense de l’identité catholique, sans même tenter d’en occulter le fond maurrassien, lui qui a affirmé sans détour être « pour l’Eglise et contre le Christ »

Cette élection a d’ailleurs permis de déterminer « grandeur nature » ce que pèse cette thématique de l’identité catholique dans l’électorat : 7 % des votants, soit environ 5 % des français en âge de voter.

Sept pourcents, ce n’est pas rien. Mais loin d’être assez pour espérer triompher un jour. Même Marine Le Pen ne s’y est pas trompée : avant le scrutin, en raillant les « chapelles remplies de personnages sulfureux » parties rejoindre son rival, ciblant notamment « les catholiques traditionalistes » ; après le scrutin, en rejetant soigneusement leurs mains tendues pour clairement s’en distinguer. La conclusion s’impose : Marine Le Pen sait bien que son électorat populaire se soucie infiniment moins de la défense l’identité chrétienne de la France que de la défense de son « pouvoir d’achat », et qu’une étiquette catholique ne peut que la desservir, au-delà d’un vague aspect culturel voire folklorique - comme l'analyse d'ailleurs ici un zemmouriste dépité.

Et au centre ? Les estimations sur le vote des catholiques pratiquant réguliers donnent 25% à Emmanuel Macron au premier tour (à comparer aux 17% qui avaient votés pour François Bayrou en 2012, contre 9% dans la population générale). Ces électeurs, ainsi sans doute qu’une partie de ceux de Valérie Pécresse, estimés à 9% des pratiquants réguliers, sont sans doute sensibles aux valeurs qui furent celles de la démocratie chrétienne, comme l’illustre une récente tribune de Charles Vaugirard. 

En conclusion, le vote des pratiquants réguliers reprend d’une façon légèrement déformée la figure en W du vote de la population générale, avec 21% pour l’extrême gauche, 3% à gauche, 25% au centre, 9% à droite et 40% à l’extrême-droite (dont 16% pour Eric Zemmour) – contre 25.7%, 6.3%, 27.5%, 4.8%, 32.5% pour l’ensemble des votants. 

Le vote catholique est donc largement réparti d’un bord à l’autre du jeu politique. Il serait dommage que la captation par le seul camp zemmourien de la thématique de l’identité chrétienne de la France, malgré les limites à la fois conceptuelles et pratiques de cette notion, conduisent les catholiques ne se reconnaissant pas derrière cet étendard à « invisibiliser » leur présence dans l’espace public. Comme pointé par Yann Raison du Cleuziou : « les pratiquants qui ne se reconnaissent pas dans la défiance conservatrice peuvent intérioriser le sentiment d’être dans la déviance par rapport au reste de leurs coreligionnaires. Les courants plus modérés se trouvent invisibilisés et leur projet réformateur compromis par la surconstruction politique et médiatique de l’opposition qui existerait entre la foi et la modernisation de la société. ». 

A nous donc de rappeler sans cesse la diversité des catholiques, encourager l’échange et l’analyse plutôt que l’anathème !