Pourquoi les CSP+ sont-ils surreprésentés dans l’Eglise en France ?



Depuis longtemps la question m'interpelle. Voici en vrac 15 idées de réponses possibles… plus ou moins simplistes et caricaturales… mais dont aucune ne me semble pleinement convaincante… à vous d’ajouter les vôtres !



1. Il n’y a pas plus de CSP+ qu’avant, ce sont juste les autres qui sont partis.
2. On s’interroge davantage sur le sens de la vie quand on a des choses à perdre, donc que l’on possède.
3. La foi n’est plus portée par la culture ambiante, donc nécessite des efforts importants pour la découvrir (formation, effort intellectuel, etc.)
4. Le saut de la foi implique une mise en sommeil de l’esprit critique, ce qui correspond davantage à l’éducation bourgeoise traditionnelle.
5. Ceux qui ont mauvaise conscience de leurs richesses se tournent vers la justification par la foi.
6. La spécificité du message évangélique par rapport aux valeurs « humanistes » n’a pas été assez annoncée pendant les 40 dernières années. 
7. On prête davantage d’importance à la transmission de ses racines dans les milieux bourgeois.
8. La piété populaire a été dévalorisée dans l’Eglise, il n’y a plus de modèle de foi populaire – un curé d’Ars ne passerait plus le séminaire aujourd’hui.
9. La culture catholique se rapproche davantage de la culture bourgeoise classique (peinture, musique, etc.) que de la culture populaire, ce qui la rend plus accessible à ceux qui ont été éduqués dans cette première.
10. L’Eglise a toujours été du côté des dominants.
11. Le catholicisme ne s’intéresse plus à la justice sociale mais au sociétal, ce qui l’éloigne du peuple pour qui ces questions sont secondes.
12. Le christianisme a historiquement attiré des classes sociale à la fois favorisées et conscientes de leur vulnérabilité (e.g. les femmes patriciennes dans l’empire romain) ; c’est le cas aujourd’hui de la bourgeoisie traditionnelle.
13. La fraternité est plus forte dans les classes populaires que dans les milieux favorisés, ce qui conduite ces derniers à la rechercher dans les communautés ecclésiales. 
14. Les classes moyennes sont davantage marquées par une culture « mass media » dont les valeurs sont largement contradictoires avec la foi chrétienne. 
15. Le saut de la foi implique une prise de risque (remettre en cause son mode de vie, regard des autres, etc.), moins facile pour ceux qui ont moins de ressources (confiance en soi, autonomie, etc.)

Addendum : une version étendue de ce billet, qui passe en revue chacun de ces points, a été publiée sur le site de la revue Limite :
"le catholicisme est-il substantiellement un truc de bourgeois"

12 commentaires:

  1. Manque une explication majeure je crois : éducation et respect des parents : transmission dès l'enfance, trad. familiale

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  2. Oui, c'est une vraie question. J'ajouterai une raison : toutes les exigences de l'Eglise (les "interdits", comme disent les médias) à propos de la sexualité.
    Je pense qu'à tous égards - matériels, intellectuels, spirituels - les CSP + sont beaucoup plus "armés" pour les comprendre et les suivre, ou les "interpréter", que ceux qu'on appelle les "simples gens". Ceux qui se remettent aujourd'hui, par exemple, à défendre Humanae Vitae (l'encyclique sur la pilule de 68) uniquement pour raison écologique ne savent rien de la vie - et des souffrances que crée cette sévérité janséniste et rigoriste.
    Sur le détachement de l'Eglise pour cette raison dès avant la Révolution, voir Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Seuil, p. 123-125 : une rupture multiple (économique, sociale, culturelle) se produit au XVIII°, qui fait que l'Eglise jansénisante et sa discipline rigoriste triomphent en haut (contre les Jésuites), mais sont finalement contournés par les fidèles. Chartier parle d'un "discours d'Eglise retourné contre se propres fins" (p. 124), et il dit, au conditionnel, que "la France aurait été la pionnière et l'épicentre de ce, "mouvement de détachement", séparant, plus tôt et plus systématiquement qu'ailleurs, conduites sexuelles et morale d'Eglise" (p. 126). Il est prudent, ce sont quasiment des hypothèses, mais c'est intéressant.

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    1. Je suis tout à fait d'accord avec ça. Pourquoi d'ailleurs j'ai toujours aimé les Jésuites. Et pourquoi aussi le jansénisme est la matrice inconsciente de la Révolution.

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  3. Je pense que la réponse est dans cette autre question : pourquoi les CSP - sont-il sous-représentés partout sauf chez Auchan et au McDo ?

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    1. Oui, bien sûr... mais je pense quand même que la division du travail s'explique par des raisons rationnelles (mais pas nécessairement admissibles éthiquement), tandis que, sur le papier tout au moins, "les pauvres mangeront et seront rassasiés" les premiers dans l'Eglise du Christ.... Pourquoi la religion populaire est-elle en voie de disparition ?

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    2. Oui, c'est de notre faute. Mais qui a réussi à résister pour l'instant à la vague ultra-libérale ultra-capitaliste de la consommation ? Sinon les familles éduquées. Et c'est même à ça qu'on reconnaît l'éducation.

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  4. Peut-on suivre le Christ si l'on a rien à quitter ? (cf "Laissant tout ils le suivirent" Lc 5)

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  5. C'était une grande question dans les années 1970 mais la réponse JOC / JEC / JIC fut une fuite vers le politique.... Pas forcément satisfaisante au moment du désenchantement généralisé de la politique.

    La piste de la religion populaire est intéressante mais les cathos ont en partie abandonné "le marché" aux évangéliste (charisme, guérison)

    Dans les souvenirs de mon enfance la jonction se faisait car l'Eglise occupait des fonctions de médiation sociale et culturelle : dans l'Yonne rurale, le catholicisme c'était l'école, les parents d'élèves, les week-ends aux scouts ou Lourdes... Avec la crise des vocations on a fermé d'abord les œuvres du périurbain pour un repli vers les centres villes CSP+

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  6. Quelqu'un serait-il capable de développer le point 4 ? L'affirmation m'interpelle mais je suis incapable de mettre une argumentation construite dessus.

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  7. J'aimerais être sûr qu'elles sont surreprésentées plutôt que sur-visibles. N'ayant pas de chiffres, je suis embarrassé pour commenter un constat dont je ne sais pas jusqu'à quel point il recoupe la réalité: mon métier m'amène à me méfier des "ressentis de terrain". Qui plus est, j'ai pratiquement toujours connu des paroisses à l'opposé de ce modèle: soit franchement populaires (Vaulx-en-Velin), soit réellement mixtes (avec toutes les CSP et pas particulièrement plus de CSP+, pas même parmi les paroissiens actifs-engagés, qui sont généralement très nombreux dans de telles communautés).
    Idem, en milieu rural, je ne suis pas certain que le constat vaille.
    Du coup, je vois bien d'autres angles possibles et ne suis pas trop d'accord avec certains des Quinze points. Le 13, par exemple: à Vaulx-en-Velin, en tout cas quand j'en étais paroissien, la communauté paroissiale était un lieu très fort de solidarité pour les communautés (d'origines géographiques diverses) qui s'y côtoyaient et entre ces communautés (unies par les difficultés du contexte banlieue populaire).
    Qui vient à l'Eglise et pourquoi? Les réponses varient selon les CSP. Peut-être chez les CSP+ - mais ce n'est pas mon milieu, j'en parle donc sans doute mal - trouve-t-on plus facilement là une tradition au sens de "reproduire ce qui se faisait, et continue à se faire". Alors qu'il n'y a plus guère de raison, dans d'autres classes sociales, qu'aller à la messe soit "quelque chose qui se fait". Parfois, le catholicisme social a tant investi la dimension "humanitaire, caritative" concrète qu'il a délaissé le spirituel. On m'a répété mille fois qu'il valait mieux consacrer une heure à aider un pauvre qu'à aller à la messe, comme si vraiment, dans une semaine, la malheureuse heure consacrée à l'Eucharistie allait justifier de manquer de temps pour les pauvres par ailleurs... Du coup, la foi, à force de vouloir se faire discrète jusqu'à l'invisibilité, a fini par passer pour inutile, en dépit de tous les combats pour plus de justice qu'elle avait pu nourrir.
    Ce n'est pas que la foi n'ait plus rien à nous dire, hormis à ceux qui entretiendraient par elle une vague façade "bourgeoise traditionnelle". Bien au contraire. C'est que parfois, par endroits, elle n'a plus su ou plus osé le dire...

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    1. Cher Phylloscopus, vous posez une bonne question : sur-représentation ou sur-visibilité ? (de la part de personnes habituées à s'exprimer en public, à défendre leurs positions, à tisser et mobiliser leurs réseaux, etc.)

      Du coup j'ai cherché des chiffres, et trouvé tout de même que les ouvriers et employés constituent 18% des catholiques pratiquants, alors qu'ils constituent 32% de l'ensemble des Français (enquête 2010), soit quasi moitié moins. Les pratiquants sont ici ceux qui se déclarent pratiquants occasionnels ou réguliers, soit 25% des catholiques.

      Ces chiffres ne sont toutefois qu'une indication, car ils ne se focalisent pas sur les catholiques réellement impliqués dans la vie de l'Eglise (les pratiquants qui vont à la messe au moins une fois par mois ne représentent que 7% des catholiques). Pourtant, intuitivement, les catholiques engagés de moins de 60 ans me semblent tout de même plus nombreux dans les terres de CSP+, plus à l'ouest qu'au nord de Paris par exemple. Et tout aussi intuitivement, ceci me semble se retrouver dans les vocations sacerdotales : les jeunes prêtres (disons - de 50 ans :) que je connais sont la plupart brillants voire très brillant sur le plan intellectuel - donnent des cours au séminaire, sont spécialisés dans tel ou tel matière théologique, etc.

      Dans les raisons possibles, il y a peut-être aussi - comment dire ? Peut-être une volonté à la suite de Vatican II de décléricaliser l'Eglise en ouvrant grand les portes aux laïcs, volonté certes positive mais qui s'est peut-être traduite soit soit par une survalorisation de l'action fraternelle ou politique, soit par une survalorisation de la théologie - c'est à dire d'une spiritualité intellectualisée... ? (tant de formations dans les diocèses, tant de laïcs qui semblent persuadés pouvoir donner des leçons de théologie au pape, etc.)

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  8. Cela me rappelle cet article génial de P. Bourdieu et M. de saint-Martin :
    http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1982_num_44_1_2165

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