abus, théologie

Abasourdi. Je suis abasourdi par les réactions de nos évêques à ces crimes commis par des clercs. Ou plutôt abasourdi par leur silence théologique sur ces questions. Comme si c’était juste une emmerde de plus, un truc de plus à traiter, à gérer. Comme si ces crimes n’offensaient pas le Christ et l’ensemble de son corps qu’est l’Eglise. Comme s’il n’y avait rien de théologique à dire ou à découvrir – sous l’inspiration de l’Esprit. Mais non. Circulez, brave gens, circulez gentils catholiques. On gère. Faites-nous confiance pour manager le problème, et puis voilà.

Pourtant, il y aurait de quoi théologiser. Je ne sais pas moi, je ne suis pas théologien, mais il y a des ressources. Matthieu 25, 40 : « Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” » Matthieu 18, 2-6 : « Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis (…) Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer. » Et Marc 9, 43 ne peut-il concerner aussi les membres du corps du Christ ? « Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas. »

Car ces crimes contre des enfants sont d’abord et toujours des abus spirituel. Tirer parti de sa charge ecclésiastique, de son autorité de clerc, de son « in persona Christi » pour abuser d’autrui, le chosifier. Ces clercs abuseurs ne sont jamais de pauvres types en difficulté dans leur ministère, mais des êtres « charismatiques », « avec une aura », inspirant respect et obéissance, comme le montrent les récits de victimes

Le pape François a lui saisi la portée théologique de ce qui se joue, déclarant qu’ « abuser un enfant revenait à trahir le corps du Christ, à faire une messe noire », action passible d’excommunication, selon le droit canon. Car ces «petits garçons et petites filles» avaient été «confiés aux clercs pour leur charisme sacerdotal qui devait les conduire à Dieu» mais «ils les ont sacrifiés à l'idole de leur concupiscence», comme des loups simoniaques. Matthieu 7, 15 : « Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, alors qu’au-dedans ce sont des loups voraces. » Mgr Rey, après Mgr Blanquart, invite ainsi les prêtres dans les paroisses « à célébrer des messes de réparation à l’intention des victimes » ; rappelant que les messes de réparation sont habituellement dites après la profanation du tabernacle, lieu de la Présence réelle de Dieu et donc « lieu le plus sacré de l’église », il demande que « ces messes soient célébrées pour les victimes profanées en leur chair ».

D’aucuns trouveront peut-être qu’on ne peut mêler ainsi la théologie à l’actualité. Que la théologie est plutôt une activité de salon, réservée aux discussions entre bac+8. C’est oublier que les pères de l’Eglise, eux qui ont mis en forme nos dogmes durant les premiers siècles, étaient pour la plupart des pasteurs, des évêques. Que leur théologie – nos dogmes – s’est faite en réponses à des événements concrets, dans les controverses. La Cité de Dieu, rédigée par Saint Augustin évêque d’Hippone, s’ouvre ainsi sur les conséquences à la fois spirituelles et très concrètes du sac de Rome par les barbares. Oublier aussi combien le catholicisme sait traduire sa théologie en symboles, en rituels, la rendre accessible à nos sens. 

Alors pitié, chers pasteurs, allez au delà des réflexions juridiques ou de la gestion de crise ; faites de la théologie incarnée !

PS : voir aussi ces deux billets justes et documentés : Aux agneaux immolés par Koz et Spotlight : des vérités qui continuent d’effrayer par René Poujol, ainsi que cet éditorial de Jean-Pierre Denis dans La Vie.