du sacrifice à la Croix





Cher Pneumatis, 

Merci pour ces beaux billets (ici et ). Je suis rejoint par la façon dont tu mets le sacrifice du désir au cœur de l’ethos chrétien des relations conjugales et filiales. Et cela me rappelle la ‘colossale disputatio’ lancée dans la torpeur d’une fin d’été ensoleillée par René Poujol

A toi je peux l’avouer, j’ai du mal avec la théologie du corps. Au début, ça a l’air super. Que du bonheur ! L’homme et la femme sont faits pour le bonheur. Ensemble, ils sont image de Dieu dans leur union conjugale et dans leurs relations sexuelles d’amour ; image du Dieu trinité en qui la circulation de l’amour est continue et parfaite. Waouh, génial ! Jamais je n’aurais osé espérer une vocation aussi grandiose. Bien sûr, il y a des conséquences fortes. En aucun cas ne vouloir posséder son conjoint, tout comme il n’y a pas de possession en Dieu. Renoncer à ce « regarder pour désirer » dont parle le Christ. Bon, là je tique un peu mais ça passe, je me dis « oui, c’est juste et bon ». 

Et puis, à la fin – il faut avoir lu tout le reste d’abord est-il bien précisé, cette fin n’étant intelligible qu’à la lumière de ce magnifique édifice qui la précède. A la fin donc – presque incidemment, genre ça irait quasiment sans dire mais bon je vous le dis quand même – on arrive au prix à payer. Naturellement, vous comprenez, pour que la relation sexuelle d’amour soit comme une icône du Dieu trine, il faut que sa dimension de fécondité soit pleinement présente. Sinon elle ne revêt pas sa pleine signification, comme un signe qui n’est plus signifiant. Car la fécondité potentielle est dans la nature de l’acte, comme elle est dans la nature de Dieu. Donc, la contraception c’est niet. Bon, bien enrobé… mais niet. Sauf les dites méthodes naturelles ; et encore ne faut-il pas qu’elles soient employées avec une mentalité contraceptive, que l’aléa subsiste...  

Et là arrive l’éloge – non pas l’éloge de l’angoisse d’avoir un enfant alors qu’on en a déjà plusieurs qui dorment à côté, enfin qui dorment ou qui pleurent, ou qui sont malades, ou qui… et qu’on ne veut pas, et qu’on ne peut pas en accueillir un nouveau, pas juste par égoïsme mais parce qu’on sent qu’on ne tiendrait pas le coup, qu’il vaut quand même mieux pour ceux qui dorment à côté, ou ne dorment déjà plus peut-être, qu’il vaut quand même mieux des parents pas trop accablés par les soucis de santé ou financiers ou les conflits, que cela vaut mieux pour tous ceux dont on a la charge, et nous-mêmes compris – non rien de tout cela ; mais l’éloge de la continence. On se doit d'être soit image de Dieu sous la couette (ou même sans couette, en fait la théologie du corps n'aborde pas directement la question de la couette), soit continents. Peut-être aussi peut-on juste ne pas avoir envie ; je ne suis pas certain, ce n’est pas explicitement dit, mais bon je suppose. Mais sur l’angoisse, rien [1]. Non. Juste que la continence finalement vous verrez c’est super, une vraie école de vie. 

Et là j’ai l’impression, un peu désagréable, qu’on essaie de me survendre le truc. Un peu comme… par exemple… un vendeur de cuisines aménagés. On arrive en pensant qu’il nous faut juste un plan de travail avec un évier encastré, et il essaie de nous vendre « la cuisine de vos rêves Monsieur Blumentern », toute aménagée, marbre blanc, bakélite, pierre de lave, électroménager dernier cri. Et puis au bout de deux heures de rêve, et bah c’est dix fois notre budget max. « Mais, écoutez bien Monsieur Blubterme, avec notre partenaire Cofitourloupe, elle est à vous pour seulement 15 euros, par jour. Et ce pendant seulement vingt-cinq toutes-petites années ! Et je vous le dit comme je le pense, Monsieur Blumenperm, économiser 15 euros chaque jour c’est aussi une chance : prioriser, poser des choix, une vraie école de vie ! » 

Bon, personnellement, je préfère quand on m’annonce la couleur tout de suite. Et la couleur, comme tu le dis, c’est le sacrifice. Le sacrifice de son désir, de sa convoitise. Là, j’aimerais peut-être ajouter un point à ton billet. Le sacrifice d’Abraham, c’est l’ancienne alliance. Et n’est-ce pas dans la bouche de Jean-Baptiste, son dernier représentant, que la question d’Isaac [2] trouve sa réponse définitive [3] ? Oui Dieu a bien su trouver l’agneau pour le sacrifice. C’est son Fils. L’impossible qui était demandé à Abraham, c’est Dieu lui-même qui l’accomplit. 



Alors nous ne sommes plus seuls. Nous ne sommes plus seuls dans les méandres de nos désirs. Nous ne sommes plus seuls à tenter de sacrifier notre convoitise. Nous ne sommes plus seuls à essayer de ne pas tomber. A lorgner furtivement la première marche de l’escalier. Tu sais, l’escalier du péché. Celui que l’on a tant de fois dévalé, emporté par son élan sans plus pouvoir s’arrêter, avant de s'écrouler sur le palier cassé et honteux d’avoir chu cette fois encore. Cette première marche dont on sait bien qu’elle nous entrainera inexorablement vers la seconde, et la seconde vers la troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’élan soit devenu irrésistible. Cette première marche si petite, celle qui ne fait de mal à personne se ment on si facilement, un petit plaisir, presque anodin... Non, nous ne sommes plus seuls. Nos convoitises, nous pouvons les lui confier. Mieux, les crucifier avec lui [4]. Participant à l’unique sacrifice du Christ grand-prêtre. 

Et là, la continence n’est plus une fâcheuse conséquence secondaire, mais le cœur du truc. Contraception ou pas, avec angoisse ou sans, la sexualité vécue chrétiennement ne peut être convoitise. Marié, célibataire, prêtre, gay... Même combat : crucifier sa convoitise. Et à chaque eucharistie, offrant à Dieu le pain et le vin de nos vies, lui offrant nos efforts et nos échecs, nous le recevons lui-même en nourriture pour la route. 

« Finalement, Monsieur Hygiena, je suis partant pour les 15 euros par jour. Bon, cela ne sera pas toujours quinze… souvent quelques piécettes, parfois nada hélas. Je les mettrai dans la corbeille chaque dimanche, à l’offertoire. 

Par contre la cuisine, je vous la laisse. C'est trop pour moi. » 

                                                     
[1] et sur comment le couple est image de Dieu ailleurs que sous la couette pas beaucoup non plus, hélas
[2] Isaac interrogea son père Abraham : « Mon père ! - Eh bien, mon fils ? » Isaac reprit : « Voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste ? » Abraham répondit : « Dieu saura bien trouver l'agneau pour l'holocauste, mon fils », et ils s'en allaient tous les deux ensemble. Gn 22, 7-8 
[3] Comme Jean Baptiste voyait Jésus venir vers lui, il dit : « Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » Jn 1, 29
[4] Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses tendances égoïstes. Ga 5, 24 L'homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui pour que cet être de péché soit réduit à l'impuissance, et qu'ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché. Rm 6, 6


lettre à ma Députée


Madame la Députée,


Electeur de votre circonscription, j’ai voté pour François Hollande non pas à cause mais en dépit de sa proposition n°31. Aujourd’hui, je reste opposé au projet de loi sur l’extension du mariage à deux personnes de même sexe, dit « mariage pour tous ».               

Cette opposition n’est pas motivée par une crainte phobique de l’homosexualité. L’amour et les relations de couple entre personnes de même sexe n’ont évidemment pas une dignité par nature différente de ceux entre un homme et une femme. Je sais que ce projet est porté par le PS et EE-LV au nom de l’égalité. Néanmoins, si l’égalité est une valeur cardinale de la gauche et de la République, déterminer son champ d’application est un choix politique. La promotion active et parfois impérative de la parité n’est ainsi pas perçue comme contraire au principe d’égalité. A l’heure où elle est remise en question dans la filiation et la procréation, la parité sera d'ailleurs bientôt la règle dans les conseils généraux avec le vote non plus pour un conseiller mais pour un binôme composé d’un homme et d’une femme[1].

De la part des associations de parents LGBT, cette revendication du mariage vise il me semble une meilleure prise en compte de problèmes concrets dans l’exercice de leur parentalité. Ces aspirations pourraient toutefois être réalisées par d’autres moyens (adoption simple, statut du beau-parent…) dans une optique universaliste, pour tous les enfants qui ne sont pas élevés par leurs deux parents. Le président du Tribunal pour enfants de Bobigny affirme ainsi[2] :

« La reconnaissance de l’homoparentalité pouvait se faire simplement. Les juges commencent d’ailleurs à construire la réponse en déléguant partiellement des attributs de l’autorité parentale au compagnon ou à la compagne. Une loi sur le statut des tiers aurait permis non seulement de répondre au problème du million d’enfants élevés par un beau–père ou une belle-mère, mais au passage par telle personne du même sexe qui partage la vie de son père ou de sa mère. Au lieu de cela on ouvre la boite de pandore de la filiation sans savoir où l’on va s’arrêter. On renvoie à un débat parlementaire de quelques jours pour trancher une question sociétale majeure. »

Dans ce cadre, je souhaite attirer votre attention sur certaines conséquences à moyen-terme de cette réforme de civilisation, selon les mots de Madame Christiane Taubira. Le mariage est en effet indissociable de l’engendrement, même s’il ne s’y résume pas. Le projet de loi EE-LV portant sur l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe, déposé au Sénat fin août, aborde ainsi fort logiquement à la fois le mariage et la procréation :

« Actuellement les couples de femmes n’ont pas accès à la Procréation Médicalement Assistée (PMA), réservée aux couples souffrant d’infertilité pathologique ou risquant la transmission d’une maladie d’une particulière gravité. Le présent texte propose donc d’y remédier en leur offrant désormais cette possibilité comme c’est le cas pour les couples hétérosexuels. La Gestation pour Autrui (GPA) n’est pas non plus légale en France. Les associations LGBT demandent que ce mode d’accès à la parentalité soit ouvert aux célibataires et aux couples du même sexe et de sexe opposé, sans que le type d’union soit pris en considération. Cette requête, appelant à une réflexion plus vaste, devrait également être considérée lors de futurs états généraux sur la famille en vue de la réforme du code civil. »

Au-delà du « mariage pour tous » se profile ainsi la procréation homosexuelle, de laquelle il constitue comme un préalable. Dans ce contexte, la PMA ne sera plus un remède à une infertilité médicale, mais un nouveau mode d’engendrement. Et pas uniquement pour les couples homosexuels. Si le critère de différence sexuelle tombe, comment fonder par exemple le maintien d’autres critères comme l’âge des parents (« en âge de procréer ») ou leur infertilité ? C’est également ce genre d’avenir « radieux » que nous annonce Monsieur Jacques Attali dans une récente tribune intitulée Vers l’humanité unisexe [3]. Et si demain, dans dix ans, cinq peut-être, des entreprises de biotechnologie proposent de remplacer le matériel génétique d’un spermatozoïde par celui issu d’un ovule et réciproquement[4], permettant ainsi une procréation homosexuelle sans donneur ? Quelles seront les ressources éthiques pour contrer ces manipulations technoscientifiques dès lors que le mariage et la procréation homosexuelle auront été institués en droits ?

Devant la perspective d’une telle dérive technicienne et marchande de la procréation, des personnes dont l’engagement écologique est incontestable expriment le même refus que le mien. Ainsi Jacques Testart, un des scientifiques ayant réalisé le premier bébé éprouvette français et engagé politiquement auprès de José Bové, ne cesse de mettre en garde sur les excès de la PMA et le risque d’eugénisme associé [5]. Des journalistes ‘verts’ comme Hervé Kempf [6] ou Fabrice Nicolino[7] ont également pris vigoureusement position :

« L’écologie telle que je la comprends est une révolution de l’esprit. Elle contredit l’hyper-individualisme qui est au fondement de notre société industrielle. L’individu aurait tous les droits. Celui de changer de machine toutes les vingt secondes, celui de tuer un cerf s’il en a le goût, celui de prendre l’avion plus souvent qu’il n’embrasse son fils, celui d’enfanter à 98 ans, celui de se voir greffer un deuxième cerveau et une huitième main, etc. L’écologie telle que je la pense est la découverte des limites. Y compris celles du désir. Y compris celles de sa satisfaction. »

Ne serait-il pas contradictoire que l’écologie politique ouvre la voie, avec le PS, à de futures manipulations du vivant [8] ? Estimez-vous, comme Monsieur Jean-Pierre Michel [9], que la science et le marché doivent avoir le dernier mot et qu’il faille « faire évoluer la société petit à petit, au fur et à mesure qu’évolue la science » ? Certes pour des raisons généreuses, mais les raisons s’effacent vite devant les conséquences….

Pourquoi ce projet de loi suscite-t-il tant de réactions en France, plus que dans d’autres pays ? La religion n’est pas un facteur explicatif, vu la prégnance de la laïcité, de la sécularisation et de la liberté de conscience des croyants français[10]. Peut-être qu’à la différence d’un pragmatisme plus anglo-saxon, les français aiment se projeter dans une vision universaliste, dépassant leurs intérêts propres. C’est le cas pour ceux qui soutiennent ce projet de loi, au nom de l’égalité. C’est également le cas pour ceux qui le contestent, au nom du refus de l’extension de la société de consommation à la procréation, d’une nouvelle soumission de la nature aux désirs humains.               

En vous remerciant de votre attention, et en espérant vous avoir persuadée qu’une opposition non homophobe mais écologique à ce projet était possible – et même nécessaire :), je vous prie d’agréer, Madame la Députée, l’assurance de mes respectueuses salutations.


[1] http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/11/30/la-parite-hommes-femmes-promise-dans-les-departements_1798662_823448.html
[4] voir par exemple le blog d’un entrepreneur en génétique et biotechnologies :
http://www.chromosomechronicles.com/2009/07/29/sexual-reproduction-for-same-sex-couples/
[5] sous la pression conjointe des médecins et des parents, les embryons seront de plus en plus triés en fonction de leurs caractéristiques génétiques, avec en conséquence à moyen-terme une moindre tolérance sociale envers les personnes nées différentes, voir notamment http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte716
[8] qu’elle dénonce pourtant justement dans d’autres cas tels les OGM.
[9] Rapporteur au Sénat du projet de loi, et favorable à la gestation pour autrui pour tous les couples http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/jean-pierre-michel-ps-je-suis-gpa-tous-couples-342784
[10] mis à part peut-être quelques groupes marginaux tels Civitas, plus folkloriques que véritablement catholiques.