Après la fièvre de la campagne, j’aimerais modestement esquisser un petit point de vue en cinq actes sur le rôle qu’y ont joué les catholiques pratiquants et sur ses conséquences.
Séquence
« Manif pour tous » – clap de fin
Il me semble
que cette élection conclut pour les cathos une séquence politique
initiée par la mobilisation contre la loi Taubira. « La Manif
Pour Tous » a vu en effet les catholiques pratiquants
s’éprouver soudain comme force politique, apte à peser sur le
cours des événements si ce n’est sur celui de l’histoire. Les
manifestants furent sans conteste les premiers surpris de faire
ainsi nombre – et plus d’un a dû ressentir devant cette
affluence inespérée la joie et la fierté de Don Rodrigue menant
ses amis à la bataille : « Nous partîmes cinq cents ;
mais par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant
au port. »
Cette
démonstration de force, si elle a produit sur le travail législatif
des résultats en deçà des espoirs – principalement l’abandon
jusqu’à la fin du quinquennat des autres projets de réformes
« sociétales », eût comme fruit plus inattendu la
naissance ou la croissance d’une kyrielle de mouvements ; certains
apolitiques comme les veilleurs, d’autres clairement inscrits dans
le champ politique, comme les Poissons Roses vers le PS ou Sens
Commun au sein de l’UMP (aujourd’hui LR).
Ces derniers
mouvements, ouverts à tous mais principalement formés de
catholiques pratiquants attentifs à la doctrine sociale de l’Eglise,
ont tous deux tenté d’influer sur la vision programmatique du
parti dans lequel ils s’inscrivaient. Ils adoptèrent pour cela une
stratégie qu’on peut difficilement qualifier d’entrisme, la
plupart de leurs membres étant déjà sympathisants voire adhérents
de ces partis, mais sans doute plutôt de nature gramscienne. Il
s’agissait pour eux, en s’appuyant sur des fondations claires et
cohérentes ainsi que sur la fraîcheur et l’enthousiasme de leurs
militants, de promouvoir leurs thèmes issus de la vision
anthropologique catholique au sein de leurs partis respectifs, et
d’amener ces thèmes à davantage structurer les débats d’idées.
Tous deux sont à l’issue de cette séquence en situation d’échec.
Les
Poissons Roses et Sens Commun – au pied du mur
A gauche,
les Poissons Roses, malgré l’intérêt et l’estime de plusieurs
élus et notamment des héritiers de la deuxième gauche, furent
systématiquement refoulés hors du parti par son appareil
dirigeant : refus de nommer des secrétaires nationaux en
proportion du score obtenu par la motion qu’ils avaient soutenue,
puis instructions données aux élus et parlementaires pour empêcher
les parrainages qui leur auraient permis de concourir à la primaire
de gauche. Pourquoi un tel barrage ? Probablement car des thèmes
propres aux poissons roses, issus donc de la vision anthropologique
catholique (soutien des couples et des familles, position nuancée
sur la loi Taubira, volonté de promouvoir des alternatives à l’IVG,
etc.), heurtaient trop frontalement les nouveaux totems (et tabous)
de la gauche progressiste.
A droite,
Sens Commun, davantage en phase avec le substrat culturel des
militants de base de LR, s’est fait rapidement connaître des
prétendants à la primaire de la droite et les a conduit à préciser
leurs positions sur les thèmes qui leur tenaient à cœur, notamment
l’abrogation de la loi Taubira. On se souvient ainsi du volte-face
de Nicolas Sarkozy, semblant se rallier à leur cause puis revenant
sur sa parole une fois mesuré le handicap que constituerait cette
promesse dans sa campagne à venir. Sens Commun a ensuite su
rejoindre au bon moment la candidature de François Fillon à la
primaire de droite, lui apportant militants dévoués et réseaux
informels constitués lors des Manifs pour tous. Cette stratégie a
semblé de prime abord fructueuse et les catholiques pratiquants
formèrent le socle de Fillon pour remporter la primaire. Les
attaques d’Alain Juppé dans l’entre-deux-tours, pointant une
soi-disant position ambiguë de Fillon sur l’avortement et
stigmatisant Sens Commun en tentant maladroitement de les opposer au
pape François, n’ont fait que renforcer leur détermination, voire
une certaine colère face à ces attaques absurdes et vexatoires.
Cette belle
mécanique s’est enrayée durant la campagne proprement dite,
lorsqu’il s’agissait de convaincre non plus une majorité des 4
millions de votants à la primaire mais des 47 millions de français
appelés aux urnes. Il y eu d’abord la révélation au grand jour
et avec un redoutable timing des arrangements privés de François
Fillon avec l’argent public, à l’instar hélas de nombreux
autres parlementaires. Sens Commun fut alors un soutien sans faille
pour Fillon, contribuant fortement au succès du rassemblement
organisé au Trocadéro pour le remettre en selle. Mais en fin de
campagne, lors de la dernière ligne droite où tout se jouait entre
les quatre candidats au coude à coude dans les intentions de vote,
Fillon fût de nouveau dépeint en dangereux réactionnaire,
accusations fondées sur la présence de Sens Commun à ses côtés
et la dette politique qu’il aurait pu avoir envers ce mouvement
s’il avait été élu. Il dût ainsi s’expliquer sur une possible
nomination de « ministres Sens Commun » dans son futur
gouvernement, faisant l’objet de nombreuses critiques y compris de
son propre camp – beaucoup de ténors LR semblant contester la
légitimité même de ce mouvement . Même François Fillon, d’une
façon assez peu élégante si ces propos sont exacts, aurait estimé
après son échec que Sens Commun avait « plombé sa fin de
campagne » et déclaré à des proches qu’il « n’aurait
pas dû leur donner autant de place dans sa campagne ».
Un
soutien catholique électoralement contre-productif
Mon
hypothèse est ici que Fillon, comme les autres contempteurs LR de
Sens Commun, n’exprime pas une position ou des regrets
idéologiques, mais électoralistes. Dit plus crûment : ses
positions sociétales, qui faisaient écho – même en mode mineur –
à des thèmes chers aux catholiques, lui ont aliéné plus de
suffrages qu’elles ne lui en ont apporté. Fillon a en effet
sur-performé dans le vote des catholiques pratiquants (55% chez les
pratiquants réguliers, définis comme déclarant participer à la
messe au moins une fois par mois), mais a décroché chez les
catholiques non pratiquants (25%). Décrochage également chez les
catégories socio-professionnelles populaires, où la pratique
religieuse est plus faible.
La leçon à
tirer semble donc claire : la prise en compte de thématiques
issues de l’anthropologie catholique et importants pour les
catholiques pratiquants réguliers, si elle a permis à Fillon d’être
choisi aux primaire par la mobilisation de cet électorat, se révèle
in fine un handicap, car la quantité de voix apportée est
inférieure à la quantité de voix que ce positionnement fait fuir
comme un repoussoir. Pourtant, ces positions étaient pour la majeure
partie de l’ordre du discours, de la prise de hauteur pour sortir
d’une doxa caricaturale, et n’auraient donné lieu qu’à peu de
changements législatif (à l’exception d’une éventuelle
réécriture de la loi Taubira, non pour la remettre en cause mais
pour davantage prendre en compte la filiation biologique). Ces
quelques mesures ont d'ailleurs aussitôt disparu du programme LR en
vu des élections législatives de juin.
A gauche
comme à droite, au PS comme à LR, la réaction des partis face aux
Poissons Roses ou à Sens Commun est in fine assez proche : On ne
veut pas de vous. Vous incarnez des thématiques dont nous ne voulons
pas dans nos projets et nos programmes, car elles ne sont pas
rentables électoralement. Elles ne sont susceptibles que d’apporter
les suffrages de catholiques pratiquants réguliers (largement
minoritaires dans le corps électoral), mais font fuir ceux des
leaders d’opinion et des « bobos », ainsi que ceux des
jeunes qui les rejettent majoritairement et ceux des classes
populaires qui ne s’y intéressent pas. Pas plus d’ailleurs que
les catholiques non-pratiquants ou pratiquants irréguliers, pour qui
les thématiques de l’anthropologie catholique ne sont pas un
sujet. On peut d’ailleurs lire suivant cette grille le maintien
dans une position minoritaire de Marion Maréchal Le Pen au sein du
FN, les instances dirigeantes de ce parti estimant sans doute que
donner trop de place à sa ligne, plus en phase avec certains thèmes
catholiques (cf. sa présence dans toutes les Manifs pour tous),
serait électoralement peu rentable.
Le
faux-nez catholique de l’identité chrétienne
Mais si les
pratiquants réguliers (environ 3 millions) sont un apport
minoritaire pour une élection nationale, ce n’est pas le cas des
catholiques non-pratiquants (47 millions de baptisés, plus de 60% de
la population se déclarant catholique). Et ce qui reste rentable
électoralement, les scores de Marine Le Pen chez les catholiques non
pratiquant le prouvent, c’est la « défense de l’identité
chrétienne de la France ». Pour cela, pas besoin de prendre
position sur des thèmes inaudibles (IVG, loi Taubira…) comme s’y
est essayé François Fillon. Il suffit de quelques slogans
identitaires, pour la plupart autour du thème : « défendons
nos clochers contre les mosquées ».
Il est d'ailleurs probable que l'on assiste d'ici les prochaines élections à une bataille entre le FN et LR pour récupérer ce vote catholique non pratiquant. Une fois ravalées les velléités de sortie de l'euro, il se pourrait que ces thématiques identitaires restent les seuls marqueurs idéologiques du FN, et que la partir de LR qui ne rejoindra pas la majorité présidentielle cherchent également à se positionner sur ce créneau.
Pour un
catholique pratiquant, ces positions identitaires peuvent ou non
faire écho à ses propres convictions ; le seul problème est
qu’elles n’ont absolument rien de catholique ni même plus
largement de chrétien. Autrement dit : défendre l’identité
catholique est un projet qui n’a rien de catholique. On aura beau chercher
dans tout l’Evangile ou dans les textes magistériels, rien ne
demande aux catholiques de défendre une identité que l’on serait
d’ailleurs bien en peine de définir de façon consensuelle – à
moins de la définir comme appartenance au Christ mais ce n’est
évidemment pas ainsi que l’entendent les non-pratiquants. Non, ce
qu’il y a derrière cette défense de l’identité catholique,
c’est la défense d’un mode de vie culturel français que
beaucoup estiment à tort ou à raison menacé.
Certains pourraient voir dans cette tendance identitaire un retour de Maurras, lui
qui prônait la centralité de l’Eglise dans la société française
mais indépendamment de la foi au Christ – et fut à ce titre
réprouvé par Rome. Il me semble que nous n’en sommes même pas
là. Les catholiques non-pratiquants seraient bien en peine
d’accepter un quelconque joug de la part de l’Eglise ou de s’y
engager, ni même de prendre en compte ses thèmes anthropologiques
comme nous l’avons vu plus haut, encore moins sans doute de
bousculer leurs modes de vie pour la suivre (Laudato si…). Certes,
la poignée de catholiques pratiquants de tendance maurassienne se
retrouveront fort bien dans une défense de l’identité chrétienne
en phase avec leurs convictions, mais ne soyons pas dupes : Ce
n’est pas à un renforcement de l’Eglise du Christ que ces
slogans identitaires peuvent aboutir. Le XXe siècle fournit
d’ailleurs moult exemples de puissances politiques ayant
instrumentalisé la défense de l’identité catholique et qui
finirent en de bien peu catholiques dictatures (cf. l’Espagne
franquiste, le Chili de Pinochet, l’Argentine de Videla, etc.) –
sous lesquelles les catholiques qui osaient défendre la liberté et
la vie furent comme les autres persécutés, le pape François l'a vécu.
Bref, le
Christ ne nous promet nulle part dans l’Evangile une espèce de
« califat » temporel, dans lequel l’identité
chrétienne ferait corps avec l’identité culturelle d’un pays ou
d’une aire culturelle donnée. Au contraire, il nous annonce
insécurité et persécutions, mais promet que l’Eglise ne sera pas
détruite : « la puissance de la mort ne l’emportera pas
sur elle » (Mt
16, 13-23). En
période de changements ethniques ou culturels, ces troubles
identitaires chez les catholiques ne sont d’ailleurs pas nouveaux ;
Saint Augustin ouvre ainsi son grand ouvrage « La Cité de
Dieu » en rassurant les chrétiens que la prise de Rome par les
barbares d’Alaric en l'an 410 faisait douter : l’Eglise ne
s’identifiait pas avec l’Empire romain.
Sautez,
dansez, votez pour qui vous voudrez
Au final
vers qui doit aller le vote catholique ? A qui iront-ils ? La
conclusion de cette séquence est sans doute la fin de la possibilité
– ou du rêve – d’un vote qui puisse être à peu près en
phase avec la vision anthropologique catholique. Il leur faut
maintenant accepter que des éléments épars de cette vision soient
présents dans la plupart des partis politiques, mais de façon
éclatée. A chacun ensuite de choisir en fonction de ses priorités,
éclairées par sa foi : de la France Insoumise pour ceux qui placent
en premier la justice sociale et la transformation écologique, à
Les Républicains pour ceux qui préféreront une synthèse entre une
mentalité plus conservatrice et la liberté d’entreprendre. Voire
au Front National pour les quelques uns qui choisiront hélas de
faire primer la défense de leur identité culturelle sur les
principes évangéliques. Il serait d’ailleurs dommage que les
catholiques ne soient pas également présents aux côtés d’Emmanuel
Macron, qui continue en partie le positionnement de centre droit qui
fut celui de la démocratie chrétienne au XXe siècle (par
exemple dans sa volonté de relancer le projet européen,
historiquement porté par les partis démocrates chrétien des pays
fondateurs).
La seule
position qui me semble désormais illégitime, c’est celle pour un
catholique d’intimer à d’autres catholiques pour qui voter sous
peine d’être étiqueté « mauvais disciple », voire
« traître à la cause ». Car si les clercs ont largement
abandonné ce type de consigne de vote après Vatican II, force est
de constater que certains laïcs ont vigoureusement pris le relai,
s’arrogeant le droit d’excommunier virtuellement sur les réseaux
sociaux (et parfois hélas de stigmatiser dans les paroisses)
quiconque ne partage pas leur position. C'est aujourd'hui
principalement le fait de catholiques de droite, voire
d'extrême-droite, qui font hélas passer leurs propres options
politiques pour une vérité absolue. Alors, catholiques, entrez dans
la danse, votez pour qui vous voudrez mais n’absolutisez pas le
politique ni la défense de votre identité culturelle : Christ
est plus grand que tout cela.