Des cathos en campagne - 5 ans après



Cinq ans après cet article, où en sont les catholiques en politique ? A le relire, les tendances se confirment. 

Tout d’abord la fin des tentatives de catholiques pour exercer une influence programmatique sur des partis politiques, dans le sens d’une vision de l’homme compatible avec la doctrine de l’Eglise. Les mouvements nés de la « Manif pour tous » (comme les Poissons roses à gauche ou Sens commun à droite) étaient déjà en situation d’échec il y a 5 ans. A gauche, marginalisés par un appareil de parti hostile à leur être même. A droite, dans l’impossibilité de rassembler plus loin que leur cercle, et devenant même un soutien contre-productif lorsqu’il s’agit de dépasser le stade de la primaire. Ils ont désormais quasiment disparu. 

De façon méritoire, ces courants cherchaient à promouvoir politiquement des valeurs chrétiennes et avaient une identité catholique assumée, couplée avec une sensibilité respectivement de gauche ou de droite sur les questions sociales et économiques – cette ambidextrie illustrant d’ailleurs la nature pré-politique de l’Evangile. 

Une fois actée leur disparition, que reste-t-il ? Eh bien, il reste des chrétiens, qui continuent à s’engager de part et d’autre du jeu politique. Et que donc défendent ces chrétiens engagés ? En un slogan, certes caricatural et partiel, on pourrait dire : A gauche les valeurs, à droite l’identité.

A gauche, plusieurs des figures qui émergent des ruines sont par ailleurs des chrétiens. On peut ainsi penser à Léonore Moncond’huy (maire EELV de Poitiers, 32 ans), ou à Samuel Grzybowski (co-fondateur de la primaire populaire, 29 ans). Quoi que l’on puisse penser des résultats de leur engagement, ils ont le grand mérite d’essayer de renouveler l’action politique, avec des valeurs de concertation, de bienveillance, de sobriété. Plus largement, on retrouve de nombreux chrétiens à EELV, souvent passés par le mouvement scout (notamment les Scouts et Guides de France), à l’instar du camarade François Mandil. Les candidats de gauche et d’extrême-gauche auraient d’ailleurs rassemblés 24% des électeurs catholiques pratiquants réguliers en 2022, contre seulement 11% en 2017, selon les estimations de l'IFOP. Fruit peut-être des appels du pape à davantage de fraternité face aux enjeux sociaux et environnementaux (Laudato si, Fratelli tutti), et émergence d’une « génération François » après les générations Jean-Paul II et Benoit XVI ?

A droite, la thématique de l’identité a pris de plus en plus d’importance chez les catholiques engagés politiquement. Contrairement à ce que je pensais en 2017 (cf point 4 de ce billet), elle n’a pas été préempté par le RN ou LR, mais par le candidat Eric Zemmour. Cette thématique lui permet d’unir son électorat issu de la droite conservatrice et constitue le pendant positif de son positionnement contre l’islam. Eric Zemmour incarne d’ailleurs de façon « chimiquement pure » cette défense de l’identité catholique, sans même tenter d’en occulter le fond maurrassien, lui qui a affirmé sans détour être « pour l’Eglise et contre le Christ »

Cette élection a d’ailleurs permis de déterminer « grandeur nature » ce que pèse cette thématique de l’identité catholique dans l’électorat : 7 % des votants, soit environ 5 % des français en âge de voter.

Sept pourcents, ce n’est pas rien. Mais loin d’être assez pour espérer triompher un jour. Même Marine Le Pen ne s’y est pas trompée : avant le scrutin, en raillant les « chapelles remplies de personnages sulfureux » parties rejoindre son rival, ciblant notamment « les catholiques traditionalistes » ; après le scrutin, en rejetant soigneusement leurs mains tendues pour clairement s’en distinguer. La conclusion s’impose : Marine Le Pen sait bien que son électorat populaire se soucie infiniment moins de la défense l’identité chrétienne de la France que de la défense de son « pouvoir d’achat », et qu’une étiquette catholique ne peut que la desservir, au-delà d’un vague aspect culturel voire folklorique - comme l'analyse d'ailleurs ici un zemmouriste dépité.

Et au centre ? Les estimations sur le vote des catholiques pratiquant réguliers donnent 25% à Emmanuel Macron au premier tour (à comparer aux 17% qui avaient votés pour François Bayrou en 2012, contre 9% dans la population générale). Ces électeurs, ainsi sans doute qu’une partie de ceux de Valérie Pécresse, estimés à 9% des pratiquants réguliers, sont sans doute sensibles aux valeurs qui furent celles de la démocratie chrétienne, comme l’illustre une récente tribune de Charles Vaugirard. 

En conclusion, le vote des pratiquants réguliers reprend d’une façon légèrement déformée la figure en W du vote de la population générale, avec 21% pour l’extrême gauche, 3% à gauche, 25% au centre, 9% à droite et 40% à l’extrême-droite (dont 16% pour Eric Zemmour) – contre 25.7%, 6.3%, 27.5%, 4.8%, 32.5% pour l’ensemble des votants. 

Le vote catholique est donc largement réparti d’un bord à l’autre du jeu politique. Il serait dommage que la captation par le seul camp zemmourien de la thématique de l’identité chrétienne de la France, malgré les limites à la fois conceptuelles et pratiques de cette notion, conduisent les catholiques ne se reconnaissant pas derrière cet étendard à « invisibiliser » leur présence dans l’espace public. Comme pointé par Yann Raison du Cleuziou : « les pratiquants qui ne se reconnaissent pas dans la défiance conservatrice peuvent intérioriser le sentiment d’être dans la déviance par rapport au reste de leurs coreligionnaires. Les courants plus modérés se trouvent invisibilisés et leur projet réformateur compromis par la surconstruction politique et médiatique de l’opposition qui existerait entre la foi et la modernisation de la société. ». 

A nous donc de rappeler sans cesse la diversité des catholiques, encourager l’échange et l’analyse plutôt que l’anathème !

Eloge de la naïveté.



De partout monte une clameur d’indignation. Le gouvernement ceci, le gouvernement cela, etc.

Clameur d’indignation mais attention, d’indignation qualifiée. Chacun a un avis. Chacun sait ce qu’il s’agirait de faire – en tous cas mieux que ces incapables qui nous gouvernent. Chacun vilipende leur incurie. 

La situation est semblable ou pire en Italie, Espagne, Grande-Bretagne, aux Etats-Unis... 
Rien à cirer. Les allemands font mieux, cela suffit.

Et puis, il ne faut pas être naïf. On nous cache des choses, la vérité déplaît aux puissants. Mais qu'ils prennent garde ! La France compte désormais des millions d’experts en virologie, des dizaine de millions peut-être - dont Mélenchon et Marine au premier chef.

Les catholiques ne sont d'ailleurs pas épargnés par cette « épidémie de l’expertise », du moins sur Facebook ou Twitter. Hier, on y démontrait l’inutilité de ne plus communier dans la bouche pour lutter contre la propagation du virus. Aujourd’hui, on y partage allègrement son avis sur la Chloroquine, sa défiance vis-à-vis des autorités, etc.

Parfois, je me dis que nous devenons en France une Eglise de pharisiens-zélotes. Pharisiens dès qu’il s’agit de culte et de génuflexions. Zélotes pour remettre en cause la légitimité des décisions des autorités civiles – fruit malheureux peut-être de l’épisode LMPT.

Dans un autre contexte (celui de l’interprétation des textes), Paul Ricœur parle de « seconde naïveté » : celle qui, en dépit de tout ce que l’on sait ou croit savoir, conduit à mettre en suspens son jugement critique pour rencontrer un texte.

Et bien, je préfère le parti de la naïveté. Croire ou du moins suivre ce que disent ceux en position de décider.

Le plus grave péril ne me semble pas de méconnaître telle ou telle intention cachée des puissants. Le plus grave péril est je crois l’atomisation de la société. Que plus rien ne nous lie au delà d'une convergence ponctuelle d'intérêts particuliers ou communautaires. Le catholicisme a longtemps formé ce lien, cette matrice commune, peu à peu complétée puis partiellement remplacée en France par l’Etat. Alors, si le respect de ceux qui incarnent cet Etat de droit disparaît, que nous restera-t-il pour transcender la petite guerre de chacun contre chacun ?

Bref, je préfère passer pour un imbécile qui respecte les autorités que de contribuer, même un tantinet, à la dislocation de notre société ; cela prête moins à conséquences :)


« Rendez à chacun ce qui lui est dû : à celui-ci l’impôt, à un autre la taxe, à celui-ci le respect, à un autre l’honneur. » (épître aux romains 13, 7)

God and the City

Depuis quelques années, force est de constater que, pour un observateur extérieur, le discours public tenu par le corps social catholique au nom de sa foi, au nom de Dieu, tourne pour l’essentiel autour… de la sexualité - et dans une moindre mesure de la mort ![1]

Comment en est-on arrivé là ? A ce que le Dieu des chrétiens ne soit essentiellement présent dans la Cité politique, qu’à travers ces questions, certes importantes mais qui sont loin de constituer le cœur de la foi catholique, qui tourne lui plutôt autour de la rédemption ?

Pourquoi les catholiques semblent-ils aujourd’hui avoir pour principale préoccupation dans le débat politique la défense de ces enjeux dits « sociétaux » ?


 Quelques idées en vrac :

1/ Il me semble que cette préoccupation n’est pas nouvelle dans le catholicisme, mais traverse toute son histoire : des premières communautés chrétiennes (comme les épîtres de Paul s’en font l’écho) à nos jours, en passant par Saint Augustin, Saint François de Sales ou le moralisme du XIXe.

Dans son histoire de la sexualité, Michel Foucault trace et décortique l’apport des auteurs chrétiens à la conceptualisation de la sexualité. Il souligne également comment ces discours façonnent les normes d’une société (c’est-à-dire les lois, mais surtout les pratiques) : « Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, […] droit canonique, pastorale chrétienne et loi civile […] fixaient, chacun à leur manière, le partage du licite et de l’illicite. [...] Dans la liste des péchés graves, séparés seulement par leur importance, figuraient le stupre (relations hors mariage), l’adultère, le rapt, l’inceste spirituel ou charnel, mais aussi la sodomie, ou la “caresse réciproque”».

Même si la plupart des religions (si ce n’est toutes) portent un discours prescriptif sur le sexe, la sexualité a sans doute joué un rôle particulier dans le christianisme à cause de l’impossibilité, à vue humaine, de son exigence de chasteté totale, c’est-à-dire d’absence absolue de concupiscence – regarder son épouse avec convoitise pouvant selon Jean-Paul II constituer déjà l’adultère du cœur dont parle le Christ en Mt 5, 28. Le désir sexuel dans le christianisme apparaît alors comme une tentation ayant vocation à être sublimée.


2/ Ce qui est nouveau est sans doute l’insistance des catholiques sur ces thèmes dans leur engagement public (dans la Cité), et non plus seulement dans leur vécu privé ou les échanges avec leurs confesseurs.

Ce basculement est peut-être lié au magistère de Jean-Paul II. Jean-Paul II et Benoit XVI à sa suite prêchèrent sur ces thèmes à la fois dans leur dimension théorique et dans leurs conséquences pratiques (la fameuse théologie du corps), mais aussi en incitant les catholiques et en particulier les élus catholiques à agir de façon publique et politique pour défendre les conceptions du magistère en la matière – jusqu’à interdire aux parlementaires catholiques de voter des lois allant à leur encontre. Précédemment, les injonctions magistérielles à un engagement public des catholiques portaient davantage (au XIXe) sur la défense de l’Eglise face aux attaques du monde moderne, dont la démocratie (cf le Syllabus)[2].

En parallèle, il faut aussi noter les appels continus à un engagement social des catholiques (de Rerum Novarum en 1891 à l’accueil des migrants en Europe aujourd’hui). Mais ces appels sont davantage des incitations à l’action caritative plutôt qu’à une action politique. Des actions politiques de nature sociale ont pu être collectivement portées par les Eglises, je pense à la campagne pour l’abolition de la dette de pays du tiers monde à l’occasion du jubilé de l’an 2000, mais de façon plus ponctuelle[3], et avec sans doute moins d’unanimité chez les catholiques français.


3/ Dans le cas des catholiques français, les thématiques sociétales apparaissent peut-être en effet comme le PPCM (plus petit dénominateur commun) entre leurs différentes mouvances. Des paroisses de centre-ville aux paroisses rurales, des sympathisants de l’Emmanuel à ceux de Saint-Martin, des aficionados des messes de Glorious / Lyon-centre aux inconditionnels de la messe en latin, des lecteurs de la Nef à ceux de la revue Limite en passant par ceux de La Vie… beaucoup de catholiques peuvent se retrouver derrière cet étendard. Ce qui constitue peut-être un signe de l’efficacité du magistère de Jean-Paul II, à travers par exemple les « générations JMJ successives » ou la « génération Lustiger » dans le presbytérat, aujourd’hui en responsabilité.

En pointillé, la quasi-unanimité des catholiques sur ces thèmes souligne le désengagement de ceux qui portaient d’autres options, notamment à gauche. On peut à ce titre souligner le courage d’un mouvement comme les Scouts et Guide de France dans leur refus de prendre position au moment de la bataille du mariage pour tous, actant la diversité des opinions dans leurs rangs et souhaitant préserver cette diversité plutôt que de la disqualifier.


4/ Un dernier point me semble accentuer les précédents : les réseaux sociaux. Alors que la pensée et les choix des cathos se construisaient auparavant dans les paroisses, via la médiation de leur curé, des échanges au sein de mouvements catholiques ou via la lecture de livres ou de journaux, Internet joue désormais un rôle prédominant. 

Et comme d’autres, les catholiques, moi le premier, succombent largement à la tentation d’une grille de lecture binaire, au charme des « bulles de filtrage » à coup de like et de retweet. Combiné à la mise en minorité des catholiques dans le corps social (environ 5% seulement de français vont à la messe chaque dimanche), ces sujets peuvent ainsi apparaître comme prioritaires et constituant le cœur de l’« identité catholique », ou du moins de celle véhiculée par les Facebook ou Twitter.





[1] Mariage homosexuel, IVG, PMA, GPA, euthanasie…
Wikipedia définit la sexualité comme "les phénomènes de la reproduction biologique des organismes, les comportements sexuels permettant cette reproduction, et enfin les nombreux phénomènes culturels liés à ces comportements sexuels."

[2] Le combat pour (ou plutôt contre) les nouvelles thématiques sociétales peut aussi être vu d’une certaine manière dans la continuité de ceux du XIXe contre la modernité incarnée par le régime républicain. Là où le syllabus condamnait le libéralisme politique, l’Eglise condamne aujourd’hui ses conséquences en termes d’auto-détermination sur les questions liées à la vie, à la sexualité, à la filiation ou à la fin de vie.

[3] D’une façon générale, bien qu’autant si ce n’est davantage présent dans les écritures, force est de constater que le thème de la pauvreté fut dans l’histoire de l’Eglise porté avec moins de force et moins de continuité que celui de la chasteté et des questions de morales qui lui sont lié.


les CSP+ et l'Eglise en France - suite et fin

(ce billet fait suite aux interrogations d'un précédent billet)

Il y a maintenant un an, plus de deux millions de jeunes catholiques se sont retrouvés en Pologne pour les Journées Mondiales 2016, dont environ 35 000 jeunes français. Mais cette délégation était-elle représentative de la jeunesse française ? Réponse négative. L'hebdomadaire La Vie a réalisé une enquête sur le profil de ces jmjistes. Résultat : 52% sont issu de milieux cadre supérieur / profession libérale. La proportion était déjà de 46% lors des précédentes JMJ en 2011 – ces professions représentant pourtant seulement 7% de la population française...

Comment expliquer ce état de fait ? Seules quelques hypothèses semblent tenir la route.

D'abord la disparition d'une foi populaire, sans soubassements théologiques mais plus instinctive et plus ritualisée, parfois communautaire (ainsi des conféries de charité ou de pénitents). Paradoxalement, le dernier concile a peut-être contribué à ce déclin en valorisant la figure du laïc pour ouvrir et décléricaliser l'Eglise (voir par exemple le chapitre IV de la constitution Lumen Gentium). Les fidèles laïcs furent appelés à contribuer par leur vie aux trois missions de l'Eglise : annoncer, célébrer, servir, et à prendre toute leur place dans les communautés ecclésiales. Remplir ces missions nécessite des compétences (relationnelles, pédagogiques, de gestion, théologiques, etc.) qui recoupent en partie des qualités valorisables et valorisées dans le monde du travail. Ceux qui en disposent vont facilement se sentir reconnus et utiles dans les communautés. Ceux qui n'ont ni don ni goût pour tout cela peuvent se sentir laissés de côté. En passant, ces compétences sont d'autant plus nécessaires pour exercer la mission de prêtre diocésain.

Ensuite, la contradiction frontale entre la foi chrétienne et l'ethos de la consommation individualiste, où tout se consomme  les biens comme les sentiments ou les relations. Et il faut des moyens et du soutien pour aller à contre-courant. La liberté de ne pas consommer est ainsi paradoxalement plus grande quand on en aurait les moyens – c'est alors un choix et non une contrainte. Mais au-delà des moyens financiers, il faut surtout aujourd'hui avoir les moyens de légitimer sa foi et ses choix dans un monde qui les raille ou les déconsidère. Les légitimer auprès de ses proches bien sûr, mais d'abord auprès de soi même. Considérer sa foi comme légitime, comme fondée rationnellement, historiquement, socialement, etc. Etre en capacité de prendre du recul par rapport au discours dominant. Etre formé à une foi adulte – au delà dun catéchisme (de l'école) primaire.

En somme, les portraits que dessine l'Eglise comme en creux la société française, du chrétien laïc engagé semblent aller dans le même sens : sûr de sa foi, bien formé, capable d’initiatives et d’organisation, estimant avoir quelque chose à apporter – si ce n’est au monde du moins aux autres, etc. Tout ça n’en fait point pour autant un bourgeois, ces traits transcendent les classes sociales, mais ceux à qui la naissance, l'éducation reçue ou la reconnaissance professionnelle apportent la paisible certitude d’être à leur place ont sans doute plus de facilité pour les exercer avec assurance – parfois même peut-être avec un brin de présomption.

Les milieux plus bourgeois seraient ainsi moins sur-représentés que sur-visibles dans l’Eglise, davantage présents chez ceux qui « font tourner la boutique » car davantage confiants en eux-mêmes et en leurs compétences. Les statistiques n’apportent d’ailleurs pas d’éléments décisifs pour confirmer un embourgeoisement global du catholicisme… La dernière grande enquête de l’IFOP sur la sociologie de la religion catholique en France (en 2010) fait certes ressortir une sous-représentation des employés et ouvriers chez les catholiques se déclarant pratiquants (le profil des catholiques se déclarant non-pratiquants étant lui très proche de celui de l’ensemble des français), mais également une sous-représentation des professions libérales et cadres supérieurs… au profit d’une large sur-représentation des retraités1.


La sous-représentation des catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+) est moindre toutefois. Hervé Le Bras et Jérôme Fourquet notent ainsi dans une étude réalisée en 2014 pour la fondation Jean Jaurès un « petit effet CSP », la pratique déclinant avec la catégorie socio-professionnelle : 10,1 % pour les cadres supérieurs, 9,3 % pour les professions intermédiaires, 8,4 % pour les employés et 6,3 % pour les ouvriers. Ce qui se retrouve géographiquement : à Paris le taux de pratique est d’autant plus important que l’arrondissement est bourgeois, et dépasse également les 20% autour de St Germain, Versailles, Sceaux ou Fontainebleau.

Néanmoins, cet « effet CSP » est loin d’être décisif. Les catholiques pratiquants se déclarant de gauche (soit environ un tiers des pratiquants) comptent quant à eux une plus forte proportion d’ouvriers que la population générale – ainsi qu’une plus forte proportion d’actifs – selon une autre étude de l’IFOP de 2010.





Comment interpréter tous ces chiffres ? Sans doute en les considérant à l’aune de la structure des communautés ecclésiales, que l’on peut découper grosso-modo en 3 cercles : le premier cercle des laïcs engagés – tels que promus par le dernier concile ; le deuxième cercle des pratiquants – qui vont plus ou moins régulièrement à la messe mais restent peu impliqués dans la vie de l’Eglise ; et le troisième cercle des non-pratiquants – dont les contacts avec l’Eglise se limitent aux baptêmes, mariages et obsèques. Les statistiques ci-dessous valent pour les premier et deuxième cercles confondus. Le premier cercle étant trop restreint pour être cerné par les méthodes classiques de sondages, sa sociologie reste floue (en dégager un échantillon représentatif de mille personnes nécessiterait vingt mille entretiens, pour peu que sa proportion dans la population soit de 5%). On peut supposer que « l’effet CSP » y est davantage marqué, en considérant des indices comme la sociologie des vocations sacerdotales qui en sont le plus souvent issues, ou à partir d’un ressenti, mais sans certitude statistique.

D’un point de vue humain, en faisant comme si l’Eglise était une organisation comme une autre, l’enjeu est probablement d’assurer que le premier cercle ne s’enferme pas dans ses problématiques propres (par exemple des querelles liturgiques ou dogmatiques), mais prenne bien en compte le deuxième cercle (attentes, besoins, capacités, etc.) pour s’assurer de son adhésion et de son inclusion.

Mais au-delà de l’organisation, l’on peut aussi adopter le point de vue du Royaume, de la vie éternelle dans laquelle tous les baptisés ont déjà mis un pied. Et là, la seule question qui vaille est celle de la sainteté. Les CSP+ de la sainteté, ce sont les apôtres, les martyres, les saints du calendrier. Pour tous les autres, le pape François a repris l’expression de « classe moyenne de la sainteté ». Celle dont nous pouvons – et devrions – tous faire partie. Et cela implique aussi des choix économiques, et écologiques, comme le souligne le père Nicolas Rousselot. Gagner moins pour vivre plus, donner de sa vie et de son temps…

Car quelle que soit sa sociologie, l’Eglise est appelée à la pauvreté – une pauvreté qui n’est pas bien sûr purement matérielle mais jamais non plus simplement spirituelle. Le dépouillement radical n’est certes pas une vocation pour chacun. « Mais pour être la communauté des pauvres de Jésus, l’Eglise a sans cesse besoin de grandes figures du renoncement ; elle a besoin des communautés qui les suivent, qui vivent la pauvreté et la simplicité, et qui nous montrent par là la vérité des Béatitudes2, afin de tous nous secouer et nous réveiller, pour comprendre que posséder des biens, c’est simplement servir, pour s’opposer à la culture de l’avoir par une culture de la liberté intérieure, et pour créer les conditions de la justice sociale. » (Benoit XVI, Jésus de Nazareth, 2007)



1 Curieusement, les retraités constituent une catégorie socio-professionnelle à part, où se retrouvent l'ancien ouvrier comme l'ancien patron...

2 « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. » (Évangile selon Saint Luc, chap 6, verset 20)

Des cathos en campagne

Après la fièvre de la campagne, j’aimerais modestement esquisser un petit point de vue en cinq actes sur le rôle qu’y ont joué les catholiques pratiquants et sur ses conséquences.

  1. Séquence « Manif pour tous » – clap de fin


Il me semble que cette élection conclut pour les cathos une séquence politique initiée par la mobilisation contre la loi Taubira. « La Manif Pour Tous » a vu en effet les catholiques pratiquants s’éprouver soudain comme force politique, apte à peser sur le cours des événements si ce n’est sur celui de l’histoire. Les manifestants furent sans conteste les premiers surpris de faire ainsi nombre – et plus d’un a dû ressentir devant cette affluence inespérée la joie et la fierté de Don Rodrigue menant ses amis à la bataille : « Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. »

Cette démonstration de force, si elle a produit sur le travail législatif des résultats en deçà des espoirs – principalement l’abandon jusqu’à la fin du quinquennat des autres projets de réformes « sociétales », eût comme fruit plus inattendu la naissance ou la croissance d’une kyrielle de mouvements ; certains apolitiques comme les veilleurs, d’autres clairement inscrits dans le champ politique, comme les Poissons Roses vers le PS ou Sens Commun au sein de l’UMP (aujourd’hui LR).

Ces derniers mouvements, ouverts à tous mais principalement formés de catholiques pratiquants attentifs à la doctrine sociale de l’Eglise, ont tous deux tenté d’influer sur la vision programmatique du parti dans lequel ils s’inscrivaient. Ils adoptèrent pour cela une stratégie qu’on peut difficilement qualifier d’entrisme, la plupart de leurs membres étant déjà sympathisants voire adhérents de ces partis, mais sans doute plutôt de nature gramscienne. Il s’agissait pour eux, en s’appuyant sur des fondations claires et cohérentes ainsi que sur la fraîcheur et l’enthousiasme de leurs militants, de promouvoir leurs thèmes issus de la vision anthropologique catholique au sein de leurs partis respectifs, et d’amener ces thèmes à davantage structurer les débats d’idées. Tous deux sont à l’issue de cette séquence en situation d’échec.

  1. Les Poissons Roses et Sens Commun – au pied du mur

A gauche, les Poissons Roses, malgré l’intérêt et l’estime de plusieurs élus et notamment des héritiers de la deuxième gauche, furent systématiquement refoulés hors du parti par son appareil dirigeant : refus de nommer des secrétaires nationaux en proportion du score obtenu par la motion qu’ils avaient soutenue, puis instructions données aux élus et parlementaires pour empêcher les parrainages qui leur auraient permis de concourir à la primaire de gauche. Pourquoi un tel barrage ? Probablement car des thèmes propres aux poissons roses, issus donc de la vision anthropologique catholique (soutien des couples et des familles, position nuancée sur la loi Taubira, volonté de promouvoir des alternatives à l’IVG, etc.), heurtaient trop frontalement les nouveaux totems (et tabous) de la gauche progressiste.

A droite, Sens Commun, davantage en phase avec le substrat culturel des militants de base de LR, s’est fait rapidement connaître des prétendants à la primaire de la droite et les a conduit à préciser leurs positions sur les thèmes qui leur tenaient à cœur, notamment l’abrogation de la loi Taubira. On se souvient ainsi du volte-face de Nicolas Sarkozy, semblant se rallier à leur cause puis revenant sur sa parole une fois mesuré le handicap que constituerait cette promesse dans sa campagne à venir. Sens Commun a ensuite su rejoindre au bon moment la candidature de François Fillon à la primaire de droite, lui apportant militants dévoués et réseaux informels constitués lors des Manifs pour tous. Cette stratégie a semblé de prime abord fructueuse et les catholiques pratiquants formèrent le socle de Fillon pour remporter la primaire. Les attaques d’Alain Juppé dans l’entre-deux-tours, pointant une soi-disant position ambiguë de Fillon sur l’avortement et stigmatisant Sens Commun en tentant maladroitement de les opposer au pape François, n’ont fait que renforcer leur détermination, voire une certaine colère face à ces attaques absurdes et vexatoires.

Cette belle mécanique s’est enrayée durant la campagne proprement dite, lorsqu’il s’agissait de convaincre non plus une majorité des 4 millions de votants à la primaire mais des 47 millions de français appelés aux urnes. Il y eu d’abord la révélation au grand jour et avec un redoutable timing des arrangements privés de François Fillon avec l’argent public, à l’instar hélas de nombreux autres parlementaires. Sens Commun fut alors un soutien sans faille pour Fillon, contribuant fortement au succès du rassemblement organisé au Trocadéro pour le remettre en selle. Mais en fin de campagne, lors de la dernière ligne droite où tout se jouait entre les quatre candidats au coude à coude dans les intentions de vote, Fillon fût de nouveau dépeint en dangereux réactionnaire, accusations fondées sur la présence de Sens Commun à ses côtés et la dette politique qu’il aurait pu avoir envers ce mouvement s’il avait été élu. Il dût ainsi s’expliquer sur une possible nomination de « ministres Sens Commun » dans son futur gouvernement, faisant l’objet de nombreuses critiques y compris de son propre camp – beaucoup de ténors LR semblant contester la légitimité même de ce mouvement . Même François Fillon, d’une façon assez peu élégante si ces propos sont exacts, aurait estimé après son échec que Sens Commun avait « plombé sa fin de campagne » et déclaré à des proches qu’il « n’aurait pas dû leur donner autant de place dans sa campagne ».

  1. Un soutien catholique électoralement contre-productif

Mon hypothèse est ici que Fillon, comme les autres contempteurs LR de Sens Commun, n’exprime pas une position ou des regrets idéologiques, mais électoralistes. Dit plus crûment : ses positions sociétales, qui faisaient écho – même en mode mineur – à des thèmes chers aux catholiques, lui ont aliéné plus de suffrages qu’elles ne lui en ont apporté. Fillon a en effet sur-performé dans le vote des catholiques pratiquants (55% chez les pratiquants réguliers, définis comme déclarant participer à la messe au moins une fois par mois), mais a décroché chez les catholiques non pratiquants (25%). Décrochage également chez les catégories socio-professionnelles populaires, où la pratique religieuse est plus faible.

La leçon à tirer semble donc claire : la prise en compte de thématiques issues de l’anthropologie catholique et importants pour les catholiques pratiquants réguliers, si elle a permis à Fillon d’être choisi aux primaire par la mobilisation de cet électorat, se révèle in fine un handicap, car la quantité de voix apportée est inférieure à la quantité de voix que ce positionnement fait fuir comme un repoussoir. Pourtant, ces positions étaient pour la majeure partie de l’ordre du discours, de la prise de hauteur pour sortir d’une doxa caricaturale, et n’auraient donné lieu qu’à peu de changements législatif (à l’exception d’une éventuelle réécriture de la loi Taubira, non pour la remettre en cause mais pour davantage prendre en compte la filiation biologique). Ces quelques mesures ont d'ailleurs aussitôt disparu du programme LR en vu des élections législatives de juin.

A gauche comme à droite, au PS comme à LR, la réaction des partis face aux Poissons Roses ou à Sens Commun est in fine assez proche : On ne veut pas de vous. Vous incarnez des thématiques dont nous ne voulons pas dans nos projets et nos programmes, car elles ne sont pas rentables électoralement. Elles ne sont susceptibles que d’apporter les suffrages de catholiques pratiquants réguliers (largement minoritaires dans le corps électoral), mais font fuir ceux des leaders d’opinion et des « bobos », ainsi que ceux des jeunes qui les rejettent majoritairement et ceux des classes populaires qui ne s’y intéressent pas. Pas plus d’ailleurs que les catholiques non-pratiquants ou pratiquants irréguliers, pour qui les thématiques de l’anthropologie catholique ne sont pas un sujet. On peut d’ailleurs lire suivant cette grille le maintien dans une position minoritaire de Marion Maréchal Le Pen au sein du FN, les instances dirigeantes de ce parti estimant sans doute que donner trop de place à sa ligne, plus en phase avec certains thèmes catholiques (cf. sa présence dans toutes les Manifs pour tous), serait électoralement peu rentable.

  1. Le faux-nez catholique de l’identité chrétienne

Mais si les pratiquants réguliers (environ 3 millions) sont un apport minoritaire pour une élection nationale, ce n’est pas le cas des catholiques non-pratiquants (47 millions de baptisés, plus de 60% de la population se déclarant catholique). Et ce qui reste rentable électoralement, les scores de Marine Le Pen chez les catholiques non pratiquant le prouvent, c’est la « défense de l’identité chrétienne de la France ». Pour cela, pas besoin de prendre position sur des thèmes inaudibles (IVG, loi Taubira…) comme s’y est essayé François Fillon. Il suffit de quelques slogans identitaires, pour la plupart autour du thème : « défendons nos clochers contre les mosquées ».

Il est d'ailleurs probable que l'on assiste d'ici les prochaines élections à une bataille  entre le FN et LR pour récupérer ce vote catholique non pratiquant. Une fois ravalées les velléités de sortie de l'euro, il se pourrait que ces thématiques identitaires restent les seuls marqueurs idéologiques du FN, et que la partir de LR qui ne rejoindra pas la majorité présidentielle cherchent également à se positionner sur ce créneau.

Pour un catholique pratiquant, ces positions identitaires peuvent ou non faire écho à ses propres convictions ; le seul problème est qu’elles n’ont absolument rien de catholique ni même plus largement de chrétien. Autrement dit : défendre l’identité catholique est un projet qui n’a rien de catholique. On aura beau chercher dans tout l’Evangile ou dans les textes magistériels, rien ne demande aux catholiques de défendre une identité que l’on serait d’ailleurs bien en peine de définir de façon consensuelle – à moins de la définir comme appartenance au Christ mais ce n’est évidemment pas ainsi que l’entendent les non-pratiquants. Non, ce qu’il y a derrière cette défense de l’identité catholique, c’est la défense d’un mode de vie culturel français que beaucoup estiment à tort ou à raison menacé.

Certains pourraient voir dans cette tendance identitaire un retour de Maurras, lui qui prônait la centralité de l’Eglise dans la société française mais indépendamment de la foi au Christ – et fut à ce titre réprouvé par Rome. Il me semble que nous n’en sommes même pas là. Les catholiques non-pratiquants seraient bien en peine d’accepter un quelconque joug de la part de l’Eglise ou de s’y engager, ni même de prendre en compte ses thèmes anthropologiques comme nous l’avons vu plus haut, encore moins sans doute de bousculer leurs modes de vie pour la suivre (Laudato si…). Certes, la poignée de catholiques pratiquants de tendance maurassienne se retrouveront fort bien dans une défense de l’identité chrétienne en phase avec leurs convictions, mais ne soyons pas dupes : Ce n’est pas à un renforcement de l’Eglise du Christ que ces slogans identitaires peuvent aboutir. Le XXe siècle fournit d’ailleurs moult exemples de puissances politiques ayant instrumentalisé la défense de l’identité catholique et qui finirent en de bien peu catholiques dictatures (cf. l’Espagne franquiste, le Chili de Pinochet, l’Argentine de Videla, etc.) – sous lesquelles les catholiques qui osaient défendre la liberté et la vie furent comme les autres persécutés, le pape François l'a vécu.

Bref, le Christ ne nous promet nulle part dans l’Evangile une espèce de « califat » temporel, dans lequel l’identité chrétienne ferait corps avec l’identité culturelle d’un pays ou d’une aire culturelle donnée. Au contraire, il nous annonce insécurité et persécutions, mais promet que l’Eglise ne sera pas détruite : « la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle » (Mt 16, 13-23). En période de changements ethniques ou culturels, ces troubles identitaires chez les catholiques ne sont d’ailleurs pas nouveaux ; Saint Augustin ouvre ainsi son grand ouvrage « La Cité de Dieu » en rassurant les chrétiens que la prise de Rome par les barbares d’Alaric en l'an 410 faisait douter : l’Eglise ne s’identifiait pas avec l’Empire romain.

  1. Sautez, dansez, votez pour qui vous voudrez

Au final vers qui doit aller le vote catholique ? A qui iront-ils ? La conclusion de cette séquence est sans doute la fin de la possibilité – ou du rêve – d’un vote qui puisse être à peu près en phase avec la vision anthropologique catholique. Il leur faut maintenant accepter que des éléments épars de cette vision soient présents dans la plupart des partis politiques, mais de façon éclatée. A chacun ensuite de choisir en fonction de ses priorités, éclairées par sa foi : de la France Insoumise pour ceux qui placent en premier la justice sociale et la transformation écologique, à Les Républicains pour ceux qui préféreront une synthèse entre une mentalité plus conservatrice et la liberté d’entreprendre. Voire au Front National pour les quelques uns qui choisiront hélas de faire primer la défense de leur identité culturelle sur les principes évangéliques. Il serait d’ailleurs dommage que les catholiques ne soient pas également présents aux côtés d’Emmanuel Macron, qui continue en partie le positionnement de centre droit qui fut celui de la démocratie chrétienne au XXe siècle (par exemple dans sa volonté de relancer le projet européen, historiquement porté par les partis démocrates chrétien des pays fondateurs).

La seule position qui me semble désormais illégitime, c’est celle pour un catholique d’intimer à d’autres catholiques pour qui voter sous peine d’être étiqueté « mauvais disciple », voire « traître à la cause ». Car si les clercs ont largement abandonné ce type de consigne de vote après Vatican II, force est de constater que certains laïcs ont vigoureusement pris le relai, s’arrogeant le droit d’excommunier virtuellement sur les réseaux sociaux (et parfois hélas de stigmatiser dans les paroisses) quiconque ne partage pas leur position. C'est aujourd'hui principalement le fait de catholiques de droite, voire d'extrême-droite, qui font hélas passer leurs propres options politiques pour une vérité absolue. Alors, catholiques, entrez dans la danse, votez pour qui vous voudrez mais n’absolutisez pas le politique ni la défense de votre identité culturelle : Christ est plus grand que tout cela.


Le Mal dans les Animaux Fantastiques : Harry Potter à l’école du progressisme ?



Les Animaux Fantastiques, long-métrage sorti fin 2016 sur un scénario original de JK Rowling, dit je crois quelque chose de l’esprit de notre temps dans son rapport au mal. Cette nouvelle histoire, précédant de plus d’un demi-siècle les aventures d’Harry Potter, met en scène en effet de nouveau une lutte du bien contre le mal ; ou plus précisément du bien sans prétention contre le Mal radical.


Le camp du Mal


Le mal y est tout d’abord incarné par le sorcier Grindelwald. En quête du pouvoir politique, il souhaite renverser les institutions en place afin que les magiciens puissent dominer les autres humains, les Non-Maj, du fait de leurs capacités supérieures.


Gellert Grindelwald se grime le film durant en un héros positif, Percival Graves, directeur du département de la Justice du congrès magique des Etats-Unis. Ce n’est qu’une dissimulation. En réalité, impossible de le faire dévier de ses plans maléfiques ; inaccessible à la relation, il incarne un Mal radical.



Une autre sorte de mal apparaît dans le film : Croyance. Ce personnage, qui semble sans grande qualité et au comportement quasi-autistique, est en fait un jeune magicien qui n’a jamais pu développer et éduquer ses capacités, car opprimé par sa mère adoptive farouchement opposée à toute forme de magie. 

Croyance refoule de ce fait ses pouvoirs magiques et engendre un obscurus, déchaînement incontrôlé de colère magique qui sème la dévastation dans New York. Ce mal là n’est pourtant pas radical, il pourrait rebasculer du bon côté, et les deux principaux héros du film tentent de s’y employer – alors que Grindelwald essaie de l’attirer à lui pour accroître son propre pouvoir. Croyance est en réalité non un coupable, mais une victime du mal.


Car il est une troisième figure du Mal, celle de Mary-Lou Bellebosse, mère adoptive de Croyance et fondatrice des Fidèles de Salem, secte religieuse en lutte contre les sorciers et la magie. Bellebosse se croit, ou fait mine de se croire, du côté du bien et de l’amour (adoptant des enfants abandonnés, nourrissant des nécessiteux), mais sa conduite est incontestablement celle du Mal. Sa violence envers ses enfants adoptifs, et surtout son hostilité envers ce qui lui apparaît comme différent (ici la magie) conduisent Croyance à basculer dans la haine de sa propre nature. Bellebosse est une autre incarnation du Mal radical : murée dans ses certitudes et dans son intolérance, rien ne peut la faire dévier de sa sinistre conduite, pas même l’intervention de Porpentina pour défendre Croyance.


Ces trois sortes de mal ne dévoilent pas de prime abord leur sombre réalité ; leur véritable nature n’apparaît qu’au cours du film, voire lors de son dénouement. Le mal avance caché, camouflé sous une autre apparence.


incarne
sous l’apparence de
et cherche au quotidien
Grindelwald
le Mal politique
la Justice
le pouvoir (politique)
Bellebosse
le Mal religieux
l’Amour charitable
le pouvoir (religieux)
Croyance
la victime du Mal
l’incapacité
la reconnaissance


Le camp du bien


Dans le camp d’en face, les héros sont eux pleinement positifs, tout entiers du côté du bien. Porpentina Goldstein, policière magique de haut-rang et d’une intégrité à toute épreuve, a été déclassée pour avoir justement voulu défendre Croyance contre sa mère adoptive. 

Norbert Dragonneau, inoffensif zoologiste anglais tout juste arrivé à New York, ne ferait littéralement pas de mal à une mouche – surtout s’il s’agit d’une mouche magique. Les deux héros secondaires, Jacob Kowalski et Queenie Goldstein (sœur de Porpentina) sont également exempts de tout côté obscur, et recherchent principalement les petits plaisirs de la vie (pâtisserie, cuisine, confort, beauté, sentiment amoureux, etc.) – en étant toutefois prêts à se battre pour défendre leurs amis. 

Ils ne sont mus ni les uns ni les autres par une volonté de pouvoir, ou des projets démesurés, mais par des aspirations simples et sans prétention, qui les guident dans leur quotidien.


cherche(nt) au quotidien
Porpentina
la justice
Norbert
l’harmonie écologique entre hommes et animaux
Jacob et Queenie
les (menus) plaisirs de la vie

En somme, entre bien et mal, tout fonctionne dans une étanchéité parfaite : l’un ne peut contaminer l’autre car rien ne leur est commun. Seule la figure de Croyance rappelle que le Mal (notamment ici l’intolérance) peut déformer une nature initialement positive, la rendant alors dangereuse. Le Mal apparaît donc non comme une tentation traversant chacun, mais comme un principe parfaitement externe aux gens de bien.


Un imaginaire familier...


L’imaginaire porté par les Animaux Fantastiques peut donc se résumer ainsi : de braves gens, qui au quotidien agissent pour faire advenir davantage de justice et de respect pour les animaux, tout en profitant des petits plaisirs de la vie, se retrouvent confrontés au mal que génèrent la politique et la religion, camouflées réciproquement derrière les masques de la Justice et de l’Amour. Nos braves gens font également face à une victime que le Mal religieux a rendue nocive par son intolérance et sa violence symbolique, mais qui n’aspire en fait qu’à être reconnue et valorisée dans sa différence, plutôt que d’être considérée comme un pauvre type comme le font ceux qu'il rencontre.


Bref, comment ne pas reconnaître dans cet imaginaire celui du progressisme contemporain ? Un progressisme où l’absolu politique comme religieux est disqualifié au profit de la recherche tranquille d’une vie confortable, tout en se sentant bien sûr très concerné par la justice et la sauvegarde de l’environnement. Un progressisme où, au quotidien, le mal n’existe pas vraiment et ceux qui le commettent ne sont que les victimes de l’intolérance du Mal véritable que sont les puissances politiques et religieuses, multipliée par la bêtise de ceux qui se croient supérieurs ou bien nés.

A ce titre, le film les Animaux Fantastique incarne à merveille l’esprit de notre temps, où, comme le soulignait la péguyste Claire Daudin au détour d’un article sur Bernanos et le mal : 
« Il semble que nous en ayons fini avec ce qui était l’axe majeur de la morale : se considérer soi-même comme source possible du mal ».

Apostolat des laïcs – Vatican II reloaded ?

Des pôles missionnaires pour des disciples-missionnaires


Il y a quelques jours, notre évêque nous a parlé du sens des « pôles missionnaires », ces regroupements de paroisses progressivement mis en place dans plusieurs diocèses français. Un point m'a interpelé : ces pôles ne sont pas une nouvelle structure, sorte de pendant ecclésial des communautés de communes, mais d'abord une nouvelle façon de vivre en catholiques. Ce qui importe n'est pas la structure – le fonctionnel et l’organisationnel nous dessèchent spirituellement et deviennent si vite autoréférentiels, dans l'Eglise comme dans l'entreprise ou l'administration. Non, ce qui importe est que chaque paroissien devienne disciple-missionnaire au sein d'une communauté missionnaire. Plus possible de rester un « catholique du dimanche », un « pratiquant occasionnel » : soit l'on est dedans, engagés pour la mission, soit l'on refuse d'entrer. Ce qui importe est de mettre en place – selon des modalités propres à chaque communauté, en fonction de sa géographie, son histoire, de ses capacités, etc. – un nouveau mode d'être au monde comme Église du Christ, dans un lieu donné, pour une population donnée. Arrêtons de « faire fonctionner nos paroisses » pour nous demander « comment cette paroisse fait-elle naître des disciples du Christ ? ».

Feue la paroisse d’antan


Ce n'est donc pas une simple mutualisation de moyens entre paroisses qui se profile, mais la fin de ce modèle paroissial tel qu'il a fonctionné depuis des siècles. Ce modèle d'un maillage territorial fin, où le plus important était l'administration des sacrements sous la houlette du pasteur : sacrements de l'initiation chrétienne et catéchisme, messes dominicales, mariages, funérailles. Un maillage qui, par ailleurs, a pu aller de pair dans les siècles passés avec un contrôle de type disciplinaire : la paroisse comme panoptique, où le curé de sa chaire peut surveiller et corriger les mœurs. Ce modèle, cliniquement mort depuis déjà peut-être 40 ans, continue néanmoins à imprégner les comportements et les imaginaires, à l'image de ces personnages de dessins animés courant dans le vide sans s'en rendre compte une fois la falaise dépassée. Bonne nouvelle : l'Eglise nous propose maintenant un nouveau modèle pastoral, impulsé par le pape François dès sa première exhortation apostolique, La Joie de l'Evangile. Un modèle encore largement à construire, où la communion fraternelle et la mission seront comme les deux faces d'un même vécu spirituel.

Vatican II, des laïcs tournés vers le monde


Ce nouveau modèle élargit et nuance un petit peu, me semble-t-il, la place des laïcs telle que spécifiée lors du Concile Vatican II. Dans la constitution dogmatique sur l'Eglise (Lumen Gentium) [1], tout comme dans le décret sur l'apostolat des laïcs (Apostolicam Actuositatem) [2], la mission des laïcs est présentée comme principalement tournée vers le monde, à travers leur famille, leur vie professionnelle, afin que les valeurs chrétiennes se diffusent peu à peu dans les différentes dimensions de la vie sociale – l'action caritative et les mouvements d'Action catholique étant cités en exemples. Les ministres ordonnés (évêques, prêtres) sont eux présentés comme davantage tournés par leur vocation propre [3] vers la vie liturgique et la célébration des sacrements, ainsi que vers le gouvernement des âmes en vue de leur sanctification. Dans le décret sur le ministère et la vie des prêtres (Presbyterorum Ordinis), ils sont présentés comme exerçant trois principales fonctions : « ministres de la Parole de Dieu » (PO 4), « ministre des sacrements et de l'eucharistie » (PO 5) et « chefs du peuple de Dieu » (PO 6). En somme, dans l'ecclésiologie de Vatican II, les laïcs semblent davantage tournés vers le monde, exerçant un apostolat vers l'extérieur de l'Eglise – ad extra ; et les ministres ordonnés tournés davantage vers le peuple de Dieu, exerçant leur ministère sacramentel vers l'intérieur de l'Eglise – ad intra. Les diacres permanents jouant en quelque sorte sur les deux tableaux, consacrés à la fois pour un rôle sacramentel et pour une mission vers le monde.

Aujourd'hui, un apostolat par la communauté chrétienne vivante


La pastorale en pôle missionnaire apporte ici, me semble-t-il, si ce n’est un changement du moins une inflexion, une remise en cause de cette stricte différenciation entre un apostolat orienté vers l’intérieur ou vers l’extérieur de l’Eglise, ad-intra ou ad-extra. Non pas au sens d'une cléricalisation des laïcs, qui conduirait à les faire travailler ad-intra pour « faire tourner la boutique ». Mais au contraire dans le respect de la vocation propre de chacun, avec la conviction que cette frontière entre apostolat intérieur et extérieur s'estompe, se brouille. Dans une France où l'Eglise est à la fois quantitativement et culturellement minoritaire, la vie paroissiale sacramentelle ne peut plus être un simple lieu de ressourcement en vue d'un apostolat extérieur. Elle devient elle-même un lieu d'apostolat. Elle devient notre meilleure surface de contact avec le monde. Elle devient le lieu à travers lequel nos concitoyens vont entendre parler des chrétiens, les rencontrer, voir comme ils s’aiment et comme ils les aiment (voir par exemple ce témoignage)... Ainsi, la célébration des sacrements ne peut plus être simplement le fait du prêtre, mais devrait être portée par toute la communauté pour toucher réellement les cœurs – y compris pour les célébrations où la plupart des participants ne sont pas pratiquants (baptêmes, mariages, funérailles). Ainsi, l'annonce de la Parole dans le monde doit s'accompagner d'une invitation à la découverte de la vie sacramentelle. Ne pouvant plus reposer sur des fondations culturelles préexistantes pour la soutenir, elle ne peut plus simplement rappeler le message évangélique, mais doit faire découvrir le Christ présent dans son Eglise.

Aujourd’hui, l’on ne vient plus guère au Christ par l’intellect, par une réflexion sur soi-même, les illusions de l’amour-propre, sur le monde ou la nature – chemin pour lequel la lecture de Pascal fut un guide emblématique jusqu’à il y a peut-être une soixantaine d’années, dans une autre culture, encore imprégnée des humanités et pétrie par les classiques. Non, désormais on vient au Christ par le cœur. Par l’amour. A la fois par la chaleur d'une rencontre humaine avec ses témoins, et par celle de la rencontre directe avec le Christ, dans notre monde si froid. Ainsi, dans les parcours Alpha, les moments les plus forts qui ressortent en bilan sont souvent les repas : se sentir accueilli gratuitement, dans son corps (le repas) et son âme (les échanges). Et les catéchumènes nous parlent souvent de leur rencontre avec Dieu en des termes emplis d’affects. La vie liturgique est par elle-même catéchétique, à condition d’être vécue dans une communauté vivante – accueillante, fraternelle, missionnaire.

D'une logique gestionnaire à une logique missionnaire


Aujourd’hui, la logique de nos paroisses ne peut plus rester celle de la gestion, mais doit davantage devenir celle de la mission, une mission adaptée à chaque terrain, en fonction des charismes présents dans chaque communauté et qui rendent chacune unique. Passer d’une logique de gestion, où l’essentiel était d’assurer la « permanence des sacrements » et ce qui en découlait (catéchisme, etc.) à une logique missionnaire, où l’essentiel est que la communauté suscite de nouveaux disciples du Christ. Encore peut-être une inflexion par rapport au concile Vatican II. Alors que le décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise (Ad Gentes) semble considérer la mission comme un processus fini, avec un début (l’arrivée de missionnaires) et une fin (l’établissement d’églises locales), tourné vers l’extérieur de l’Eglise, la mission est désormais perçue [4] comme faisant partie à la fois de l’être même de l’Eglise et de celui de chaque baptisé. Comme une facette indispensable de l’agir-en-chrétien.

Grandir en sainteté


Bref, les pôles missionnaires vont certes permettre de regrouper les bonnes volontés ; mais ils ne seront fructueux que si nous allons plus loin que cela. Si nous passons d'une logique territoriale à une logique nouvelle, où ad-intra et ad-extra se rejoignent en un même ad-omnes, vers tous. Si chaque pôle missionnaire devient localement la communauté des amoureux du Christ, qui vont ensemble célébrer, annoncer et servir. Une communauté qui donne envie, par sa vie fraternelle, par son unité dans la diversité des personnes qui la composent, etc. Une communauté en croissance de Sainteté, qui sait que la mission n’est pas sa propriété, mais d'abord l'affaire du Seigneur. Une communauté où chaque membre grandit dans sa vie spirituelle et humaine en participant à l'annonce de la bonne nouvelle.

« L’évangélisation est la tâche de l’Église. Mais ce sujet de l’évangélisation est bien plus qu’une institution organique et hiérarchique, car avant tout c’est un peuple qui est en marche vers Dieu... Chaque baptisé, quels que soient sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. Cette conviction se transforme en un appel adressé à chaque chrétien, pour que personne ne renonce à son engagement pour l’évangélisation » (La Joie de l'Evangile, 120)



1 « La vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu… C'est à eux qu'il revient... d'éclairer et d'orienter toutes les réalités temporelles auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu'elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ... » (LG 31)

2 « Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l'ordre temporel... Membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité et à chercher partout et en tout la justice du Royaume de Dieu » (AA 7)

3 « La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ édifie, sanctifie et gouverne son Corps… C'est par le ministère des prêtres que se consomme le sacrifice spirituel des chrétiens, en union avec le sacrifice du Christ... » (PO 2)

4 « La mission évangélisatrice, continuation de l’œuvre voulue par le Seigneur Jésus, est pour l’Eglise nécessaire et irremplaçable, expression de sa nature même. » (Benoit XVI, Motu Proprio Ubicumque et semper, instituant le conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation)